Article de Sylvie Boursier
Transit d’Anne Seghers est un récit à la première personne d’un anonyme qui, en 1940, s’échappe d’un camp de concentration, se réfugie à Marseille, cherche à fuir dans un pays d’accueil. Le roman montre les multiples procédures kafkaïennes auxquelles il est confronté, recherche de documents, permis de séjour, visa d’entrée… Et le tout dans un pays avec cette impression d’être face à un mur, dans un dédale administratif inextricable comme un monstre froid qui achève ses victimes à coup de mensonges, faux semblants, atermoiements, contrôles, vérifications, attentes, anxiété. En 2018, alors qu’il se rend à Santiago du Chili, Amir Reza Koohestani, le metteur en scène est arrêté à l’aéroport de Munich sous prétexte d’une durée de séjour dépassée et d’un visa périmé. On le maintient dans un no man’s land, dénommé salle d’attente. Son passeport est confisqué et il ne sait s’il sera renvoyé en Iran ou s’il pourra gagner le Chili. Il ressent le besoin de traiter par le théâtre l’angoisse qui fut la sienne et il choisit de le faire par une uchronie, un récit croisé entre les personnages d’Anne Seghers et sa propre expérience de relégué en transit.
Un sujet passionnant dont on attendait beaucoup. La pièce se centre sur la confrontation entre policiers des frontières et ces multiples anonymes parqués en zone de transit avec une série de dialogues de sourds où il est question de vrais-faux papiers, de cautions, de garants, de certificats de moralité, d’arrangements, de stylos réglementaires. Au bout d’un moment ça devient tellement technique qu’on se noie. La mise en scène est statique ; les quatre comédiennes, qui ne sont pas en cause, n’expriment aucune empathie, aucun sentiment, elles restent d’une opacité totale, atones, on a l’impression qu’elles n’ont pas de corps. On peut comprendre ce parti pris qui montre comment un système administratif anonymise les individus. Mais pourquoi un tel systématisme du début à la fin ? Le spectateur perd le fil du récit et du coup se désintéresse des enjeux du spectacle, par ailleurs ô combien tragiques ! Pour ajouter à la confusion, les actrices changent de rôle à vue sans modification de jeu. Une réfugiée peut devenir agent des frontières puis à nouveau candidate au départ, personnage du roman d’Anna Seghers ou Amir Reza Koohestani lui-même.
Je n’ai pas compris l’histoire qu’on voulait me raconter, avec l’impression pénible de rester à quai, dans une zone de transit justement.
© Magali Dougados
En transit, librement inspiré d’Anna Seghers
Création : Amir Reza Koohestani, Massoumeh Lahidji, Keyvan Sarreshteh
Mise en scène : Amir Reza Koohestani
Traduction : Massoumeh Lahidji
Scénographie, lumière : Éric Soyer
Musique : Benjamin Vicq
Costumes : Marie Artamonoff
Avec : Danae Dario, Agathe Lecomte, Khazar Masoumi, Mahin Sadri
Du 7 au 14 juillet à 18 h
Durée : 1 h 20
Lycée Mistral, Festival In
84 100 Avignon
Tournée :
Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris, du 5 novembre au 1er décembre
Le Maillon, Strasbourg, du 25 au 27 janvier 2023
Théâtre national de Bretagne, Rennes, du 7 au 10 mars 2023
CDN Orléans / Centre-Val de Loire, les 15 et 16 mars 2023
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