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« En route-kaddish » de David Geselson, au Théâtre de la Bastille

Mar 04, 2015 | Commentaires fermés sur « En route-kaddish » de David Geselson, au Théâtre de la Bastille

ƒƒ article d’Anna Grahm

En-route-Kaddish-1© Charlotte Corman

Sur un coin du plateau, un lieu de vie. Un lit, un piano, un bureau surchargé de livres, un minuscule endroit encombré d’objets hétéroclites, traversé par les années, le travail de la réflexion, un lieu comme un nid propice à la concentration, un lieu comme une toile dans laquelle est pris l’acteur qui regarde le public arriver.

David Geselson, lui, tourne le dos au dispositif et à l’avant-scène va saluer les arrivants, les aborde une tasse de café à la main, les entraine naturellement avec lui, les encourage à parler, – lui qui a tant à dire -, se confie à chaque spectateur comme avec un nouvel ami. Dès l’entrée il fait tomber les codes de jeu habituels en même temps que le 4ème mur, laisse la salle allumée, commence le spectacle comme il n’avait pas encore commencé, plaisante sur les oreilles décollées de son grand-père. En quelques blagues il a réussi à interpeller la salle qui ne mouftera plus.

Du bric-à-brac derrière lui, il va tirer des papiers, indiquer, à peine, ce film sur l’ordi, celui d’une déambulation entre les tombes, que l’on regarde et que l’on oublie peut-être à cause de l’écran trop petit, trop loin. Et parce que David a tant de choses à montrer, il dévide son histoire, capte l’attention avec son humour feutré, raconte sa mère, le père de sa mère, tend leurs photos : faites passer dit-il aux spectateurs et rendez-les moi.

Car ici il s’agit de faire passer, de faire glisser ce spectacle du je au nous, de faire passer ces mythes familiaux dont il a hérité et qui pèsent tout en faisant passer que s’il est là c’est aussi grâce à son père, sa mère, son grand-père qui lui ont donné vie, et de revenir sur la transmission, les exils successifs, celui de son ancêtre lituanien jusqu’en Palestine, le sien au Japon pour mettre à distance son histoire d’amour gâchée, de faire passer qu’au pays du soleil levant des milliers de juifs ont été accueillis pendant la guerre, de faire passer ses idées de trentenaire (et de gauche) sur la politique israélienne, de poser les effets de la mondialisation sur un écran nippon.

Il s’agit de faire lien entre les morts et les vivants, entre les différents pays où chacun a vécu, de jongler avec les faits et la fiction. David veut faire route, lier et délier, à chaque croisée de chemin se demande s’il faut condamner ou absoudre, défendre ou permettre, croire ou pas, David veut questionner l’obligation des liens, celui des appartenances religieuses, ceux des unités et des fractures, quitte à grossir le trait en collant l’habituel interrogatoire à la frontière dans un espace aseptisé, en poussant un adolescent à la pratique obligatoire de la prière, ou à la pose des tefillins.

Passer en revue les désirs et les accomplissements de son illustre grand-père et ses rêves brisés. Repasser par le passé pour entrevoir l’avenir. Faire route. Déposer les attaches de la terre promise qu’on retrouve dans les tiroirs, dans les mains de son grand-père, remonter les fidélités et les trahisons intimes et collectives. Dire ce froid qui s’installe qui gèle les consciences, questionner une heure durant les espérances des pères fondateurs pour comprendre ce qu’elles sont devenues à l’épreuve de la réalité. Une heure qui passe en un instant qui ne suffit pas et qui pourrait durer tellement plus mais qui pousse à penser la complexité.

Émouvant cette passe d’armes des deux comédiens, qui traversent les âges à mesure que s’étire ce petit coin de vie sur le plateau. Émouvant ce cheminement d’une vie qui nous laisse face nos défis.

En route-kaddish 
Texte David Geselson
Mise en scène et interprétation David Geselson et Élios Noël
Collaboration à la mise en scène Jean-Pierre Baro
Scénographie Lisa Navarro

Du 2 au 6 mars
et du 15 au 22 mars 2015
le dimanche à 15 h

Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette – 75011 Paris

Réservation O1 43 57 42 14
www.theatre-bastille.com

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