ƒ article de Denis Sanglard
Il est toujours extrêmement difficile de monter un texte de Samuel Beckett tant son œuvre est balisée avec une sévérité, une exigence sans faille par l’auteur lui-même. Les didascalies tyranniques, la scénographie imposée y importent tout autant que le texte. Trouver dans cette œuvre faussement austère son espace, sa place, s’avère une entreprise des plus ardues. En Attendant Godot n’échappe pas à ce carcan imposé. Marie Lamachère s’y attaque bravement et tente de la « désacraliser ». Certes. La scénographie respecte les vœux de Beckett. Le spectateur est astucieusement inclus dans celle-ci. La route traverse le public et l’arbre est derrière nous. Au lointain du plateau vaste et nu, une vidéo, un arbre splendide au milieu d’une prairie qui frissonne sous le vent. Rien à dire et même, cela renforce cette idée d’interactions, de répliques adressées frontalement à la salle, que Beckett par quelques échanges verbaux installait non sans humour. Seulement voilà, sur ce vaste plateau le mouvement cède à l’agitation. Ça court, saute, chute, culbute, se cogne, se rencogne. Les horions pleuvent. On sait l’admiration de Beckett pour Buster Keaton. Mais le slapstick auquel sans doute se réfère Marie Lamachère ici est comme délibérément volontaire, imposé, et tombe à plat. Marie Lamachère entre en force dans l’œuvre comme s’il fallait absolument s’affirmer, imprimer sa marque, déverrouiller l’œuvre absolument. Il en résulte quelque chose de contraint qui distord le texte et ne sonne pas tout à fait juste, pour ne pas dire faux, qui lasse très vite. Les acteurs semblent de fait en surchauffe, assujettis à cette exigence, cette agitation perpétuelle imposée et inutile le plus souvent. Ils sont loin d’être mauvais mais souffrent de cette mise en scène qui les propulse à la limite du surjeu sinon du hors-jeu. Il y a de trop rares instants où le registre change brutalement ce qui sans être inintéressant, et même juste, semble du coup plaqué, accolé au tourbillon qui le précède, sans transition aucune. On avance ainsi par soubresauts successifs brouillant toute cohésion de l’ensemble. Pourtant, parfois, quand cela semble se calmer et cela arrive, on touche du doigt une certaine poésie, à l’image d’Estragon (Mickaël Hallouin) lunaire et naïf, mais bien vite effacée par le mouvement général imprimé. Tout est là cependant qui surgit par intermittence et montre une finesse d’analyse de l’œuvre. Mais c’est comme si Marie Lamachère craignait d’être engloutie par elle et ne voulait en aucun cas céder le terrain. Sa mise en scène est comme une réponse, ce qu’elle souligne dans la scénographie, entre le « Rien à faire » du début et « Allons-y » de la fin mis en exergue, comme une parenthèse. Et Marie Lamachère y va. Un peu fort sans doute…
En Attendant Godot
de Samuel Beckett
Mise en scène de Marie Lamachère
Scénographie Marie lamachère avec la collaboration de de Gilbert Guillaumond et Thierry Varenne
Lumière, vidéo et régie générale Gilbert Guillaumond
Régie Plateau Thierry Varenne
Avec Renaud Golo, Mickaël Hallouin, Gilles Masson, Antoine Sterne, Damien Valero
Préparation au jeu Laurélie RiffaultThéâtre l’Échangeur de Bagnolet
Cie Public Chéri
59, avenue du Général De Gaulle
93170 Bagnolet
Réservations 01 43 62 71 20
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