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En attendant Godot de Beckett, mise en scène de Jean-Pierre Vincent aux Bouffes du Nord

Déc 11, 2015 | Commentaires fermés sur En attendant Godot de Beckett, mise en scène de Jean-Pierre Vincent aux Bouffes du Nord

ƒƒƒ  article d’Ulysse Di Gregorio

Godot-divertissement
© DR

Avec cette mise en scène de Beckett, Jean-Pierre Vincent nous livre l’essence même de l’œuvre. Il ne s’arrête pas seulement au vide de l’existence qui est suggéré dans « l’attente de Godot », mais il nous fait aussi ressentir toute l’humanité et la tendresse qui émanent des personnages d’Estragon et Vladimir.

Une terre aride, où seuls se dressent un arbre mort et une pierre nous indiquent le désert dans lequel se trouvent les personnages. Une toile de fond d’un bleu particulièrement envoûtant représente le ciel sur lequel se découpe suivant le moment de la journée une tâche lumineuse : le soleil ou la lune. Ce décor signé par Jean-Paul Chambas s’inscrit de manière remarquable dans la dramaturgie de l’œuvre, et par sa simplicité nous rend l’occupation de l’espace d’autant plus significative. C’est l’éternelle attente, l’immuabilité et la mort qui se dégagent ensemble à la vue du décor.

Les personnages de Vladimir et Estragon, interprétés respectivement par Charlie Nelson et Abbes Zahmani forment un merveilleux couple à l’image de celui de Laurel et Hardy comme en témoigne la note d’intention de Jean-Pierre Vincent. C’est un duo de clown au vrai sens du terme tout en subtilité et en douceur qui nous est donné à voir. Le spectateur ne peut qu’être touché par cette vérité et cette humanité qui émanent de l’interprétation des comédiens. Face au vide de l’existence le besoin de l’autre va toujours croissant, partager ses douleurs et ses interrogations est l’unique façon de se sentir vivre. Vivre à travers l’autre, voilà exactement ce que de grands comédiens font chaque fois qu’ils jouent ensemble. L’arrivée de Pozzo, grand propriétaire terrien et esclavagiste interprété par Alain Rimoux est un véritable événement. Celui-ci fait du personnage de Pozzo un être absolument égocentrique, à l’écoute des variations de sa voix de crooner, et apporte un comique d’une autre nature avec un jeu volontairement grandiloquent. La corde qui lui permet de « tenir en laisse » Lucky, interprété par Frédéric Leidgens, est le signe de l’asservissement de l’esclave au maître mais également du maître à l’esclave. Lucky blafard et vacillant nous fait voir toute la douleur de l’humanité, l’épuisement face à la souffrance physique et psychique. D’un côté nous avons le clown blanc avec Lucky et de l’autre l’auguste avec Pozzo, et là encore c’est un duo clownesque revisité qui fonctionne à merveille. La violence et la cruauté du texte de Beckett résident principalement dans cette scène où Pozzo et Lucky font irruption : Vladimir et Estragon passent de l’indignation à la vue d’un Lucky « en laisse », à l’amusement que celui-ci peut leur procurer quand Pozzo lui ordonne de danser et de penser. La mise en scène permet ici de mettre en lumière toute la faiblesse humaine et la cruauté provoquée par l’insouciance. Le jeune Gaël Kamilindi qui apparaît en jeune garçon semble plus une rêverie de Vladimir qu’une véritable incarnation, une sorte de Pierrot lunaire qui serait une extériorisation de la pensée de Vladimir. Il laisse le spectateur rêveur et l’interrogation ouverte sur l’existence de Godot.

Par sa fidélité au texte et la précision du travail des comédiens, cette mise en scène de Jean-Pierre Vincent est tout simplement remarquable car elle révèle toutes les subtilités, et montre que « l’absurde » par lequel on qualifie souvent cette œuvre est loin de s’y appliquer… Au contraire, ici tout fait sens et dit notre monde avec une incroyable lucidité.

En attendant Godot de Beckett
Mise en scène Jean-Pierre Vincent
Dramaturgie Bernard Chartreux
Assistés de Frédérique Plain
Décor Jean-Paul Chambas
Assisté de Carole Metzner
Costumes Patrice Cauchetier
Lumières Alain Poisson
Son Benjamin Furbacco

Avec Abbes Zahmani, Charlie Nelson, Alain Rimoux, Frédéric Leidgens et Gaël Kamilindi

Théâtre des Bouffes du Nord
37 bis, bd de La Chapelle, 75010 Paris
Du 4 au 27 décembre 2015
réservation : +33 (0)1 46 07 34 50
www.bouffesdunord.com

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