© Salvatore Lorenzana
ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot
Il est un homme aux prises. Homme jeune aux prises avec ses questions, avec une histoire familiale elle-même aux prises avec l’histoire nationale. Il est aussi celui aux manettes, gérant les nombreuses prises électriques posées sur une table à l’allure de tableau de contrôle, irriguant la scène de fils dérivant jusqu’au différents projecteurs et enceintes de plateau. Sergi Casero Nieto n’est aucunement aux abois, il est au contraire d’un calme olympien, et c’est avec une aisance remarquable qu’il nous entraîne, d’un même mouvement, dans l’instant du plateau et dans le récit d’une histoire. El Pacto del Olvido travaille la manière temporelle, entrelace l’adresse, puissamment actualisée, au public (c’est à cela que l’on reconnaît aussi le performeur) et l’histoire échue et déchue de l’Espagne franquiste, rejoue avec une vraie truculence certaines scènes familiales passées, en particulier avec sa grand-mère Saturnina. Souvenirs d’enfance.
El Pacto del Olvido est un millefeuille temporel, et Sergi Casero Nieto, en véritable passe-muraille, se glisse et se fond dans chaque nouvelle couche avec la même labilité qui opère entre fiction et réalité. Le jeune homme se pose des questions, les posent à ses proches : qu’en fut-il de sa propre famille pendant les heures sombres de la guerre civile, et plus encore pendant les décennies de franquisme qui suivirent ? Qu’en est-il de ses réminiscences quand tous autour ne sont que silence ? Qu’en est-il de cette gêne et de ce trouble quand certaines conversations sont engagées ? L’auteur et interprète laisse les questions ouvertes, en suspens, laisse se diffracter l’onde du refoulement jusqu’à nous, jusqu’à notre propre actualité, jusqu’à Gaza. Il collecte et enregistre les signes de ce qui ne veut pas être signifié, de ce mutisme criant et en fait l’alphabet de son spectacle. Si El Pacto del Olvido renvoie à la loi d’amnistie pour tous les crimes commis pendant les années de la dictature, votée par l’assemblée nationale espagnole au sortir du franquisme, et si ce pacte de l’oubli résulte en ce que l’on a oublié aujourd’hui jusqu’au fait même d’avoir un jour décidé d’oublier, Sergi Casero Nieto fait à sa façon acte de résistance, il se fait homme de mémoire avec une vigilance toute borgésienne, creusant ses propres galeries dans son passé, égrenant ses « recuerdo » sonnant et trébuchant, plongeant dans un trauma collectif où les mots-mêmes furent choisis pour nier ou euphémiser les crimes.
L’usage d’un rétroprojecteur comme élément central dans l’articulation des images et de la pensée opère comme une radiographie de l’époque : projeter ce qui est derrière nous, le désenfouir, y faire face, et faire apparaître ce qui est encore visible en transparence dans les mots et les maux du contemporain. À l’instar de Francisco Goya, faire la mise au point sur la monstruosité.
© Alessandro Sala
El Pacto del Olvido, texte de Sergi Casero Nieto avec des extraits de Jorge Luís Borges, Federico García Lorca et le test de mémoire de Clara Valverde
Conception, mise en scène et interprétation : Sergi Casero Nieto
Aide à la dramaturgie : Mónica Molins Duran
Lumières : Sergi Casero Nieto, Miguel Angel Ruz Velasco
Costume : Sara Clemente
Durée : 1h15
Programmé dans le cadre du festival Chantiers d’Europe
Du 25 au 26 juin 2025 à 19h
Théâtre de la Ville
2, place du Châtelet
75004 Paris
Tél : 01 42 74 22 77
https://www.theatredelaville-paris.com
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