À l'affiche, Agenda, Critiques, Evènements // Duras – Platini, d’après l’interview publié dans Libération en 1987, adaptation Barbara Chanut et Louis Ripault, mise en scène de Barbara Chanut, Théâtre de la Reine Blanche

Duras – Platini, d’après l’interview publié dans Libération en 1987, adaptation Barbara Chanut et Louis Ripault, mise en scène de Barbara Chanut, Théâtre de la Reine Blanche

Nov 02, 2023 | Commentaires fermés sur Duras – Platini, d’après l’interview publié dans Libération en 1987, adaptation Barbara Chanut et Louis Ripault, mise en scène de Barbara Chanut, Théâtre de la Reine Blanche

 

© Pascal Dolomieux, pour Libération en 1987

 

ƒƒ Article de Sylvie Boursier

« Un entretien complétement foot » titrait Libération en décembre 1987, la formule colle parfaitement aux échanges entre Michel Platini et Marguerite Duras à l’invitation du journal emblématique de la gauche ; qui d’autre que « Libé » pour oser marier le football et la culture ? Platini vient de prendre sa retraite sportive à 32 ans et sort une autobiographie quand Duras, amie de François Mitterrand, se distingue à coup d’interventions fracassantes sur des sujets qui dépassent largement le domaine de l’écriture, l’affaire Grégory par exemple et pourquoi pas le football auquel elle ne connaît rien ? La mise en scène de Barbara Chanut reprend l’intégralité des propos avec des extraits de leurs biographies.

Voilà donc votre chroniqueuse pour la première fois de sa vie sur une surface de réparation autour d’un carré de pelouse face à un arbitre, Liza Lamy, du collectif Vel Cro, qui crée en direct l’ambiance sonore, cris des supporters, voix off et bruitage insolite.

Platini, Duras, deux objets de fantasmes, qui se montrent curieux l’un de l’autre même s’ils ne parlent pas la même langue. Elle tente de le percer à jour, de comprendre la peur, l’angoisse du terrain cerné par la foule, il répond avec humour, esquive d’un dribble intelligent « Tu n’as jamais eu peur dans un stade ? », « Non. J’étais au milieu du stade, protégé par des grillages », répond Michel, « Et les 80 000 personnes ? », « C’est le football », « Qu’est-ce que c’est que ce jeu-là ? dit Marguerite, démoniaque et divin », avec sa façon de prononcer « fotballe », ignorant les rectifications du joueur « foutbaul ». On découvre un homme à l’ouverture d’esprit étonnante qui joue collectif sans jugement ni a priori.

Visiblement Michel ne saisit pas bien à qui il a affaire mais il tacle. Le foot est pour lui « le seul truc français dont on parle dans le monde entier. » Et « la littérature ? rétorque Marguerite, moi je suis traduite dans plus de trente pays, ce qui fait plus que l’Europe et l’Amérique du Sud ». Son interlocuteur la mouche « Oui, mais si vous allez dans les favelas, la littérature n’est pas importante, le football, oui. » L’ingénuité et la passion du jeu d’un côté, la puissance intellectuelle de l’autre. Entre eux une complicité se noue autour de leur vocation : « Est-ce que le football t’a désespéré ? » demande Marguerite. « Non, jamais, l’entourage m’a désespéré, pas le football » répond Platini. « Ecrire, c’est la seule chose qui ne m’ait jamais déçue », conclut Duras.

Barbara Chanut, karatéka et comédienne, théâtralise l’échange sur un tatami entouré du public. Neil-Adam Mohammedi dans le rôle de Michel Platini apparaît bien seul pour sa sortie de scène footballistique, droit dans les yeux il nous fixe simplement, intensément « je suis mort à 32 ans, le 17 mai 1987 […] je me suis retourné et j’ai levé les bras […] je disparais dans les entrailles de la nef de béton. Salut, l’artiste ! » ses mots sont ceux d’un écrivain ; tapie dans l’ombre, Marguerite surgit du banc de touche et relance. Cyrielle Rayet a l’abattage du rôle, tragique et comique à la fois, comme Marguerite duras qui ne manquait ni d’aplomb ni d’inspiration. On voit défiler les images et les lieux, Trouville, Nancy, Turin et sa Juventus, Rocheteau, Hidalgo, Neauphle le château et les ruines du Heizel. On sourit avec émotion.

Quel journal aurait aujourd’hui ce culot, se payer Duras et Platini à la une, pour un échange captivant qui dépasse le scoop journalistique ? Que se passe-t-il dans la tête d’un athlète de ce niveau, a-t-il des doutes, des révoltes ? Qu’est ce qui relie le footballeur et l’écrivain, le don de soi peut-être. Au théâtre le script est connu, au foot la partie n’est pas écrite et l’issue souvent tragique. Le corps du sportif et du comédien ne font plus qu’un dans cette rencontre qui va à l’essentiel par la hauteur de Mme Duras, le charme juvénile de Platini, la justesse de l’interprétation et une scénographie ciselée. Quelle joie de voir des jeunes qui n’étaient pas nés en 1987, recréer avec brio ce dialogue passionnant et incarner nos idoles sans les imiter, en s’appuyant sur leur imaginaire, sur ce que ces figures médiatiques convoquent chez eux.

On avale ce match sans broncher avec les prolongations, allez savoir pourquoi, en sortant j’avais en tête les mots d’Anne Sylvestre « dans les coulisses on fait son deuil, avec un restant de panache, d’une existence en trompe-l’œil… Y a-t-il une vie après le théâtre ? ».

Allez voir la compagnie Sochin !

 

© Maléna Bérenguer Logerais

Duras-Platini, adaptation de Barbara Chanut et Louis Ripault

Mise en scène :  Barbara Chanut

Dramaturgie – Louis Ripault

Lumière :  Clément Balcon

Costumes – Lucie Duranteau

Avec Neil-Adam Mohammedi, Cyrielle Rayet,

Liza Lamy et Barbara Chanut

 

Durée : 1h20

Du 25 octobre au 26 novembre 2023

Les mercredis et vendredis à 21h et les dimanches à 18h

 

Théâtre de la Reine Blanche

Passage Ruelle

75018 Paris

 

Réservation : 01 40 05 06 96

reservation@​scenesblanches.​com

 

Ecrire de Marguerite Duras éditions Gallimard 1995.

Ma vie comme un match de Michel Platini et Patrick Mahé Editions Robert Laffont, 1987

 

 

Be Sociable, Share!

comment closed