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Drive your plow over the bones of the dead ( sur les ossements des morts), d’après le roman d’Olga Tokarczuk, mise en scène de Simon Macburney, Odéon-Théâtre de l’Europe

Juin 10, 2023 | Commentaires fermés sur Drive your plow over the bones of the dead ( sur les ossements des morts), d’après le roman d’Olga Tokarczuk, mise en scène de Simon Macburney, Odéon-Théâtre de l’Europe


 

© Alex Brenner

fff article de Denis Sanglard

 Un jour le voisin de Janina Doucheyko est retrouvé mort, un os de biche coincé dans la gorge. Bientôt d’autres disparitions étranges suivent. Tous étaient des chasseurs. Sur les lieux des crimes et près de leur corps, à chaque fois, des empreintes animales sont retrouvées. La police enquête mais Janina en est absolument certaine, les animaux se vengent des hommes. Les chasseurs sont devenus gibiers. Janina Doucheyko, ancienne ingénieure, vivant seule dans ce village isolé du sud de la Pologne, partageant son temps entre de longues promenades dans la nature, l’observation de la faune, la traduction des poèmes de William Blake – qui donne son titre au roman – et des calculs astrologiques (tout est inscrit dans les astres, même le destin funeste des victimes dit-elle) tient la chronique de ce mystère dont la résolution, que nous garderons bien de dévoiler, est pour le moins inattendue et bouleversante.

Adaptation du roman d’Olga Tokarczuk, prix Nobel de littérature en 2018, c’est une fable écologique, politique et féministe. Une œuvre radicale, sèche comme un bon coup de trique, d’un humour ravageur et d’une ironie mordante. Ce qui est posé là, c’est notre rapport à la nature, notre environnement et la perte irrémédiable de ce lien délicat, si fragile et menacé désormais. Et quand cette voix est portée par une femme âgée, marginale, de ces femme invisibilisées  par le patriarcat, c’est jubilatoire. D’autant plus que le personnage de Janina Doucheyko, frondeuse et déterminée, pleine d’une « colère authentique », n’a que faire du système patriarcale représenté ici par ces chasseurs et par l’église, qu’elle défie ouvertement. Tout dans ce roman écrit en 2009 est joyeusement subversif, d’une impertinence, d’une ambivalence aussi, qui n’empêche pas un regard inquiet et lucide sur le monde et d’une justesse qui se révèle à l’heure d’aujourd’hui prophétique et que l’on n’appelait pas encore écocide.

Simon Macburney loin de trahir ce roman le porte sur le plateau avec un bonheur évident, une empathie certaine pour l’œuvre et son sujet, s’effaçant presque derrière la fable qu’il exhausse avec une intelligence rare. C’est d’une beauté radicale, voire sombre, par sa (fausse) simplicité apparente, dégraissée de tout effet spectaculaire pour dégager la toute-puissance de la fable, où la technique la plus pointue et l’artisanat théâtral le plus pur loin de s’annuler, et sans déchirure aucune, renforce le fil narratif de façon exemplaire. Une utilisation de la vidéo ni invasive, ni intempestive pour une illustration relevant à la fois de la citation en miroir du récit, de l’ellipse parfois, ou simplement un marqueur géographique, qu’accompagne une formidable et anxiogène bande-son digne d’un polar, ponctuée de coup de fusil à vous faire exploser les tympans, accusant avec brutalité la réalité de la violence des hommes.

C’est du théâtre-récit, solution idoine pour ne pas trahir le roman éponyme et sa résolution foudroyante, porté avec un talent fou par Amanda Hadingue, remplaçant ce soir là Kathryn Hunter, souffrante. Elle porte haut ce récit avec une maîtrise époustouflante, trois heure durant, sans jamais quitter la scène. Rouée, matoise, fantasque, vengeresse, cynique, blessée, manipulatrice et compassionnelle (et pas qu’envers les animaux), d’une humanité écorchée et lucide sur la brutalité de son environnement, son hypocrisie,  qu’elle dénonce fermement, elle nous empoigne fermement et ne nous lâche plus, jusqu’au dénouement, forcement théâtral, et nous entraîne avec une énergie sans faille dans un mouvement irrépressible allant crescendo entre récit, au micro et en adresse directe au public, et jeu, accompagnée de comédiens jouant les protagonistes de cette fable écologique éclaboussée de sang. Ils sont chasseurs, voisins et amis… Mais aussi un étrange chœur fantôme ne la quittant pas, esprits sans aucun doute de ces animaux massacrés qui la hantent. Happés et pris dans les rets de cette narration tempétueuse et cette mise en scène exemplaire qui ne desserre pas son étreinte, le spectateur finit par lâcher prise, vite fasciné par cette fable prémonitoire et cette femme singulière dont nous devenons l’heureux et volontaire complice en sa folie. Révélant aussi, et c’est toute la subtilité et l’ambivalence de ce conte, la part monstrueuse en chacun.

 

© Alex Brenner

 

 

Drive your plow over the bones of the dead (sur les ossements des morts) d’après le roman d’Olga Tokarczuk

Un spectacle de  : Complicité

Mise en scène de Simon Macburney

Avec : thomas Arnold, Joahannes Flaschenberger, Amanda Hadingue, Tamzi  Griffin, Kiren Kebali-Dwyer, Weronika Maria, Tim Mcmullan, César Sarachu, Sophie Steer, Alexander Uzoka

Scénographie et costumes : Rae Smith

Lumières : Paul Constable

Son : Christopher Shutt

Vidéo : Dick Straker

Direction complémentaire : Kirsty Housley

Dramaturgie : Laurence Cook, Sian Ejwunmi-Le Berre

Direction du mouvement : Toby Sedgwick

Compositions originale : Richard Skelton

Perruques : Susanna Perez

Vidéo réalisée par Adam Smith @flatnosegeorge

 

Du 7 au 18 juin 2023

Du mardi au vendredi à 20, le samedi à 14h30 et 20h, le dimache à 15h, relâche lundi.

Durée 2h50

Odéon-Théâtre de l’Europe

Place de l’Odéon

75006 Paris

 

Réservations : 01 44 85 40 40

www.theatre-odeon.eu

 

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