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Dona Lourdès, une création de Némo Camus et Robson Ledesma, Atelier de Paris / CDCN – Festival June Events

Juin 14, 2024 | Commentaires fermés sur Dona Lourdès, une création de Némo Camus et Robson Ledesma, Atelier de Paris / CDCN – Festival June Events

© Valriia Shcherbina

 

 ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Némo Camus, interroge l’histoire de sa grand-mère, Lourdès de Oliveira, l’iconique « mulatta carioca » du film Orfeu Negro (1959), du réalisateur Marcel Camus dont elle devint l’épouse. Jeune femme métisse, née d’une femme noire d’origine modeste et d’un père blanc d’un milieu bourgeois qui ne l’a jamais reconnue, elle incarne par son discours sans misérabilisme toute l’ambiguïté d’une politique raciale brésilienne dont elle fut l’objet impuissant sinon la victime. Assignée à un dictat esthétique exotique par la danse pratiquée, la samba, un cliché du Brésil tenace, qu’elle métissait avec sa pratique de la danse classique, une différence qui lui valut d’obtenir le rôle de Mira, le récit de Lourdès de Oliveira recueilli par son petit-fils cristallise sans qu’elle le reconnaisse la politique raciale du Brésil mise en place, théorie eugéniste du blanchiment opérant dès la fin 19éme siècle,  blanchiment racial progressif d’une même famille par le biais du métissage et que représente un tableau manifeste, La rédemption de Cham, de Modesto Brocos, œuvre raciste de 1895, illustrant picturalement cette théorie et cette politique. La chorégraphie performative initiée par Némo Camus, par elle et au-delà de son histoire familiale, pose la question du regard, du corps, du regard sur le corps, son inscription conflictuel dans un processus politique raciste et de sa reproduction. La danse ici, la samba / danse afro, et le classique / canon occidentale, que Lourdès de Oliveira représentait et synthétisait est le vecteur d’une assimilation inconsciente de ce processus à l’œuvre mais qui n’échappe pas à la violence symbolique de sa représentation. C’est cela que Némo Camus dénonce et démontre, cette sourde distorsion qui aveugle ceux qui en sont les acteurs et victimes.

Sur le plateau couvert de confettis, métonymie d’un carnaval, le performer brésilien Robson Ledesma prend en charge le récit de Lourdès de Oliveira, entretien enregistré par son petit-fils et diffusé pendant la performance. Une réappropriation, au-delà du genre et des clichés, d’une grande sensibilité qui n’est nullement imitation. Une danse déliée, épurée, à l’os et comme détachée de son modèle, approché comme à rebours pour le débarrasser à la fois de son exotisme et de son classicisme, de sa violence symbolique et lui offrir une nouvelle perspective originelle qui effacerait à la fois les clichés afférents et le racisme qu’ils contiennent pour affirmer une nouvelle identité dépouillée de tout ce fatras polémique et que la diaspora, dont fait partie désormais Robson Ledesma, reconnaît mais dont elle s’ affranchit, redéfinissant les contours de la danse brésilienne qui n’échappe toujours pas à un regard occidental biaisé. Ce portrait de Lourdès de Oliveira est aussi le sien. Reprenant les figures et positions classiques qu’il brise sèchement, de la samba qu’il accentue, échos d’une extravagance carnavalesque, sa danse s’enroule sur elle-même, jusqu’à son épuisement. A laquelle s’ajoute, en contrepoint mémoriel accusant le décalage et la violence contenue, une gestuelle empruntée au tableau de Modesto Brocos.

Mais de cette proposition singulière, dans sa réalisation performative impeccable et qui échappe à toute démonstration, osons la comparaison, on songe à Ohno Kazuo et son mythique solo butô de La Argentina, Antonia Mercé y Luque, où le corps transfigurait le souvenir et l’éblouissement de ce danseur devant cette immense danseuse flamenca. C’est peu ou prou la même approche, le politique en plus, l’apparat en moins, nourrie ici du témoignage radiophonique et fragmentaire de Lourdès de Oliveira, omniprésente et omnisciente, où l’on regrette juste de ne pas voir quelques images de son interprétation de Mira. Seule trace d’une carrière avortée par son mariage, à la demande de Marcel Camus, de son expatriation en France et de l’oubli. Némo Camus, son petit-fils blanc, fait acte de mémoire qui dépasse la simple histoire de sa grand-mère pour interroger l’héritage du Brésil, une histoire d’appropriation et de réassignation politique et raciale des corps, un corps de fait politique. La samba de Robson Ledesma, cette performance prégnante en devient le manifeste.

 

Dona Lourdès, une création de Némo Camus et Robson Ledesma

Conception et écriture : Némo Camus

Collaboration chorégraphie et interprétation : Robson Ledesma

Dramaturgie : Nathalia Kloos

Création costumes : Miguel Peñaranda Olmeda

Regard chorégraphique : Mary Szydlowska

Scénographie : Rafa Pamplona

Création lumière : Ines Isimbi

Création sonore : Baptiste Le Chapelain

Avec la voix de Lourdès de Oliveira

 

Vu le 8 juin 2024

 

Cartoucherie de Vincennes

Rote du champs de manœuvre

75012 Paris

 

Atelierdeparis.org

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