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Do you know this song ? de Mallika Taneja, à La Commune – CDN Aubervilliers dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis

Juin 20, 2024 | Commentaires fermés sur Do you know this song ? de Mallika Taneja, à La Commune – CDN Aubervilliers dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Une longue procession de poupées de chiffons, frêles et instables, s’avance, pas plus hautes que trois pommes, multicolores, sur un chemin de mémoire. Leur fragilité d’emblée supplante chez le spectateur cet autre imaginaire, cette autre transhumance souterraine : l’armée de guerriers de terre cuite du premier empereur de Chine. L’ingéniosité et la finesse tant du dispositif scénique que de la dramaturgie de la pièce de Mallika Taneja convoquent ainsi autant l’intime que le politique, le privé comme le social. Enfance et promesses rêvées d’une jeune fille contre monde violent, mortifère, et patriarcal. Mallika Taneja ouvre sa forme spectaculaire comme un paquet cadeau, dont on déplierait ensemble les papiers colorés et brillants. L’ordre des réalités tourbillonne et s’entremêle dans l’écriture de Do you know this song ?, le public se fait entourage, soutien, et témoin. Le chœur que bien vite il formera s’instaure cœur d’une relation : l’hospitalité est la carte maitresse de Mallika Taneja. Elle nous accueille comme on le ferait avec sa famille, ses amis, ou encore avec ses connaissances plus lointaines que l’on désigne en Inde affectueusement du titre d’«uncle ». L’interactivité animée avec une rare délicatesse par l’artiste initie un contrat spectaculaire à sa mesure et étoffe l’émotion spectatrice d’une myriade d’affects, rarement convoqués en ces lieux. Une ineffable communauté affleure nourrie de la pure sensation de l’être ensemble, du partage poétique. La douceur de Do you know this song ? obsède comme un lassi à la rose dont on savoure chaque bouchée, comme une berceuse dont on sent les bras vibrants nous étreindre quand la nuit guette. So Ja re. Endors-toi.

Le playback en guise de prologue déploie son ballet de mines, de sourires, d’œillades, de frémissements enjoués. Mallika Taneja embrasse l’espièglerie, elle est une liberté et une offrande. Elle ose et croque en quelques traits et ombrelle la chanteuse légendaire qu’elle rêvait, enfant, de devenir. Elle est actrice, indéniablement, comme elle est danseuse, et chanteuse remarquable. Accompagnée d’une shruti box (merci à Olivier Normand qui nous présentera cet instrument quelques jours plus tard dans son fantastique Vaslav), cet harmonium indien déployant ses harmoniques comme des fils infinis où la voix vient se poser tel un oiseau, ses trilles pareilles à un ébrouement. La voix danse et reconnaît, plus loin que les mots, les chemins insondables de l’émotion.

Dans cette détente souple et irisée, le souvenir éclot pour mieux revisiter l’avenir. Do you know this song ? est à la fois un retour vers un passé chanté, enchanté, enchanteur et un chant dont la mélopée traverserait les époques jusqu’à l’âge adulte et désenchanté. Le tour de chant s’avère tour de force capable d’atteindre à la dénonciation politique — le statut des femmes dans la société indienne — sans avoir besoin d’en faire un discours. Mallika Taneja ne réalise pas une œuvre distancée, brechtienne selon la terminologie occidentale, quand bien même les poupées pourraient le suggérer, mais tresse un dispositif enveloppant, capable de nous étreindre et de nous bouleverser quand, d’une chanson à l’autre, les couleurs rassurantes de l’enfance disparaissent soudainement sous les éclats sombres de la douleur et de l’angoisse. La poupée, si elle est bien l’objet transitionnel par excellence, double et interlocutrice de l’artiste, révèle à la manière d’un miroir la fonction sociale que peut aussi remplir la forme spectaculaire par temps sombre où les haines rances menacent et l’inquiétude nous gagne : un acte collectif de souvenance et croyance, sans religion aucune, en l’irréductibilité humaine, un insatiable besoin et une joie régénératrice à accueillir l’altérité. Faire choeur par la multiplicité des cœurs. Faire œuvre commune.