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ƒƒ Article de Nicolas Brizault
Nous entrons dans un monde à part, terrible sans doute. Pas vraiment le temps de papoter en s’asseyant, nous sommes tout de suite plongés dans une brume austère, trace de douleurs passées mais si présentes. Là, sur scène, nous attendant et apparaissant peu à peu sous les volutes s’effaçant, six individus, six aux identités partagées, répétées, qui nous racontent ici un (un seul ?) attentat dans le métro russe. Douleurs, terreurs, morts et sursauts, les corps rebondissant ou s’écrasant les uns contre les autres, construisant l’image de l’incompréhensible, ou tâchant de le faire, le tout à travers une souplesse et une légèreté lentes, ralenties, décomposées. Premier coup de poing, invitation surprenante à écouter, regarder, sentir, du moins tenter de le faire face à cette douleur qui va s’étendre devant nous, goutte à goutte ou dans l’éclat terrible du trop tard.
Avec ces quelques minutes, Stéphanie Loïk nous ensevelit dans le travail considérable de Svetlana Alexievitch, prix Nobel de littérature 2015. D’abord journaliste, Svetlana Alexievitch s’est tournée très tôt, dès les années 1980, en Russie et en Biélorussie, vers les « voix », vers ceux qui racontent, comme ils le peuvent, les traumatismes ayant traversés récemment l’histoire soviétique. Ces voix sont ici utilisées telles quelles par Stéphanie Loïk, qui ne veut pas que des personnages nous racontent ces histoires, mais que ce soit un écho qui nous étouffe, nous fasse ainsi circuler dans les attentats, mais aussi dans les « traces », si on peut utiliser un termes aussi léger, de la guerre de Tchétchénie, à travers la vie d’hommes et de femmes en Russie et en Biélorussie, ou au travers de conflits dans le Haut Karabakh, entre les Azéris et les Arméniens, pogroms, maltraitances, viols.
Donc six voix noires, sombres, devant nous, six corps qui portent ces voix. Les histoires sont lentes, lancées tout de même devant nous. Elles prennent au bout d’un moment une identité, on sait qui est qui, les personnages remplacent les voix et curieusement la force s’éteint un peu, on contemple, certes, mais c’est ici ou là, davantage attirés par les costumes, les coiffures, on se met à imaginer, à se poser des questions idiotes face à des histoires qui, là, s’éteignent, auxquelles la répétition ne s’agrippe pas, et tombe. Dommage, et on a presque honte. Mais la brume, au bout de sa quatrième et bruyante sortie, nous lasse. On devient plus odieusement sensible son barouf mécanique qu’au sens pesant qu’elle voudrait exposer. Les gestes restent les mêmes et ne nous entraînent plus. On voudrait souffler un peu, leur faire changer de sens à ces gestes, pour leur faire retrouver la force époustouflante du début.
Les six voix sont portées par de jeunes comédiens dont on sent le talent et la capacité phénoménale de s’enfermer dans un jeu si difficile. Car certes, si quelques petites choses restent à affiner, Dix histoires au milieu de nulle part nous voit sortir de là au courant, à l’écoute, sensibles à ces blessures. C’est même curieux d’apercevoir ces sourires sur scène pendant les applaudissements. On est encore, nous, sous les décombres.
La première partie montée il y a un an par Stéphanie Loïk, La fin de l’homme rouge ou le désenchantement (cf. l’article de Denis Sanglard), est également visible à L’Atalante en ce moment.
Dix histoires au milieu de nulle part
Adaptation et mise en scène Stéphanie Loïk
Création lumière Gérard Gillot
Création musicale, chef de chœur Jacques Labarrière
Chants russes Véra Ermakova
Assistant compagnie Igor Oberg
Film Jean-Christophe Leforestier
Compagnonnage Françoise Dô
Avec Vladimir Barbera, Denis Boyer, Véra Ermakova, Aurore James, Guillaume Laloux, Elsa Ritter
Durée 1h45
Du 29 novembre au 22 décembre 2017
Lundi, mercredi et vendredi : 20h30
Jeudi et samedi : 19h
Diptyque le dimanche :
16h La fin de l’homme rouge ou le désenchantement (1ère partie)
18h Dix histoires au milieu de nulle part (2eme partie)
Relâche le mardi
L’Atalante
10 place Charles Dullin
75018 Paris
Derrière le théâtre de l’Atelier
Réservations au 01 46 06 11 90
www.Theatre-latalante.com
Métro Anvers, Abbesses, Pigalle
Bus 30, arrêt « Anvers »
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