© Géraldine Aresteanu
ƒƒƒ article de Corinne François-Denève
Christine n’a pas très envie d’être reine. Aux ors et à la servitude du pouvoir, elle préfère la lecture, l’étude, ou la compagnie de Belle. Mais le destin l’a fait fille de roi, et n’a pas voulu que sa mère engendre un héritier mâle. On y a pourtant cru : l’enfant semblait bien être un garçon, avant que l’évidence ne s’impose. Le roi sera une reine. La reine sera un roi : Christine est une Fille Roi, un « être-frontière », queer avant l’heure.
Sublimée par le visage impassible de Greta Garbo, la « reine Christine » n’a cessé de fasciner, d’Alexandre Dumas à Liv Strömquist*. Sara Stridsberg, Suédoise elle-même, s’est affrontée au mythe, pour en opérer une « dissection », à l’image de cette reine qui avait fait venir Descartes à Stockholm, pour s’entretenir avec lui de philosophie. La reine de Stridsberg est une enfant sauvage, qui se questionne sur la sexualité, le sort qui l’a fait naitre à la place qu’elle occupe dans le monde, et la sujétion des femmes, même et surtout si elles sont reines. Le personnage est saisi à cet instant de bascule où elle doit choisir d’accepter ou non la couronne : Christine face à son destin.
La scénographie de Christophe Rauck enferme Marie-Sophie Ferdane, seule en scène pendant plus de deux heures, dans une magnifique cage de verre remplie de plumes, comme autant de délicats flocons de neige. Il lui est peu loisible d’en sortir, à l’exception d’une merveilleuse scène dans laquelle, fougueux cheval de manège, la comédienne énumère la théorie des malheureuses reines et des reines malheureuses, rivées qu’elles sont à l’obligation de procréer, face à un philosophe (Descartes ?) transformé en griot capable de convoquer les esprits. Ferdane, splendide actrice animale, parvient à donner vie à chacun de ces personnages en l’espace de quelques secondes – Christine and the Queens.
Comme il en a l’habitude, Rauck émaille sa pièce de morceaux de musique irruptifs : The Clash et son anar « God save the Queen », ou deux notes de « Libérée, délivrée » quand on mentionne une reine des neiges. L’ensemble est d’une grande beauté plastique, les apparitions du roi mort ressemblant à des tableaux du Greco. La pièce repose entièrement sur les solides et pourtant délicates épaules de Marie-Sophie Ferdane, qui passe de la bouderie enfantine à la révolte adulte, fait sourire ou rire, et émeut.
© Géraldine Aresteanu
* On lira avec grand profit à ce sujet La Reine Christine et ses fictions, éd. par Florence Fix et Corinne François-Denève, eud, 2022.
Dissection d’une chute de neige, de Sara Stridsberg
Traduction du suédois : Marianne Ségol-Samoy
mise en scène : Christophe Rauck
Avec : Thierry Bosc, Murielle Colvez, Habib Dembélé, Marie-Sophie Ferdane, Christophe Grégoire, Ludmilla Makowski, Emmanuel Noblet
Dramaturgie : Lucas Samain
Scénographie : Alain Lagarde
Lumières : Olivier Oudiou
Son : Xavier Jacquot
Costumes : Fanny Brouste
Assistante costumes : Peggy Sturm
Vidéo : Pierre Martin-Oriol
Coiffure et maquillage : Férouz Zaafour
Masques : Judith Dubois
Du 9 au 19 janvier 2024
les mardis et mercredis à 19h30, les jeudis et vendredis à 20h30, le samedi à 18 h, le dimanche à 15h
Durée : 2 h 10
Théâtre Nanterre Amandiers
7 avenue Pablo-Picasso
92022 Nanterre
Reservations : 01 46 14 70 00
www.nanterre-amandiers.com
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