À l'affiche, Critiques // Désordre du discours, d’après l’Ordre du discours de Michel Foucault, conception Fanny de Chaillé à l’Université Paris 8 – Saint Denis, Festival d’Automne à Paris

Désordre du discours, d’après l’Ordre du discours de Michel Foucault, conception Fanny de Chaillé à l’Université Paris 8 – Saint Denis, Festival d’Automne à Paris

Nov 12, 2019 | Commentaires fermés sur Désordre du discours, d’après l’Ordre du discours de Michel Foucault, conception Fanny de Chaillé à l’Université Paris 8 – Saint Denis, Festival d’Automne à Paris

 

© Marc Domage

 

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Du discours inaugural de Michel Foucault au Collège de France en 1970, il nous reste un texte édité chez Gallimard : L’ordre du discours. Mais aucun enregistrement, vidéo ou audio. Aucune capture, trace physique, attestant du corps qui ce jour-là prit place sur l’estrade, des mains qui fendirent l’épaisseur de la lumière, ni des ondulations et accents de la voix qui discourut. Rien, sinon cette transcription écrite, succession de signes sur les pages d’un livre. Un contour, en quelque sorte, de l’événement, à l’instar de ces mains négatives signant sur les parois des grottes préhistoriques ces présences humaines aujourd’hui disparues.

C’est étrange, troublant, comme la performance conçue par Fanny de Chaillé pour Guillaume Bailliart à partir de ce discours semble souterrainement coïncider avec ces mains négatives : comme elles, la performance inscrit une forme dans le visible, convoquant la figure absente tout en creusant cette même absence. Quelque chose fait signe, mais quelque chose s’en défausse au même instant. Quelque chose de l’ordre de l’évidement.

Fanny de Chaillé monte ce Désordre du discours comme une partition musicale chorégraphiant chaque geste au plus près des mouvements de la pensée de Foucault. Le performer se retrouve ainsi dans la situation paroxystique de ne pouvoir faire plus qu’un de son corps et de sa pensée. Incarner la parole logique, spéculative ou déductive par l’articulation de ses membres, bras, mains, tête. La proposition est d’une exigence redoutable (pouvant sembler invivable), requiert de la part de son interprète une attention que l’on pourrait presque qualifier de folle, tant il semblerait contre nature de relier aussi fermement pensée et corporéité. Avec cette féroce maîtrise, Guillaume Bailliart danse l’acte d’énoncer la pensée, rebondit du monde des idées au peuple des gestes comme s’il rejouait d’une autre façon ce mythe de la caverne projetant sur la paroi du visible avec moult mains négatives cette procession de la pensée. Et l’on voit alors apparaître avec l’émotion de la révélation, se tenant sur deux plans distincts tout en se faisant l’écho l’un de l’autre, à la fois le prodigieux tableau des péripéties de l’entendement humain et la fresque saisissante de cette chanson de geste dont l’héroïsme du corps n’a rien à envier aux saillies de l’intelligence.

L’esprit chevauche la parole, qui convoque, rappelle, projette, classe, compare, trie, liste. Le corps, quant à lui, en costume et pull col roulé (figure de l’Auteur), se dresse, se soulève, prend position, pour, contre, lève les bras, les pointe, bat des mains, les joint, les écarte, fait d’une main une lunette de vue, monte sur la chaise, la table, se couche sur la table, plonge, nage, traverse, s’en va. Et l’on constate alors avec contentement combien le travail de la pensée peut avoir à voir avec le labeur manuel ! Il y a même une sorte de jouissance pour le spectateur, élève de cette leçon, à observer ce pur esprit ainsi trimer, piocher, couper, abattre, élever, saisir, par ces gestes pleins et entiers, effaçant ainsi symboliquement la différence de classe entre intellectuel et manœuvre instillée depuis la nuit des temps.

Si l’on voit poindre l’ouvrier chez le philosophe, son corps-pensée agit ici et s’agite comme une puissante machine, carburant sous le régime exclusif de la rationalité. Quelque chose d’implacable émane autant de la démonstration du penseur que de la mécanique des gestes, tous les deux soumis à l’inéluctabilité de l’engrenage. Cela produit son effet burlesque, et l’on voit surgir comme un subtil filigrane les Buster Keaton et Charlie Chaplin dans le sillage du grand intellectuel. L’humour peut aussi simplement venir d’un geste ouvrant à une polysémie iconoclaste : lorsqu’il énonce sa première proposition (« la volonté de vérité ») dans une suite de trois, le performer brandit vigoureusement son majeur au bout d’un bras magistralement érigé laissant la voix libre au doigt d’honneur. Comme si les gestes voulaient discourir sans autre médiation, et menaçaient de se mutiner contre la parole raisonnante.

Car, c’est une hypothèse que je formule ici, à mesure que Foucault développe son discours sur le discours, il semble se débattre et chercher coûte que coûte à s’extraire du déterminisme imposé par l’exercice même qu’il effectue en discourant depuis sa chaire, mais, tragiquement, il ne peut y échapper, tel Sisyphe poussant à chaque instant une nouvelle pierre conceptuelle. De la même façon, quelque chose du dispositif performatif se met à progressivement échapper à l’énonciation du discours, à sa rationalité, à sa pensée, à ouvrir un imaginaire, quelque chose se met à fuir dans un impensé puisant aussi bien dans la peinture religieuse, dans l’esthétique baroque, dans un nombril accidentellement entraperçu (une autre origine du monde), que dans la flânerie poétique, irrationnelle, porté par la dynamique vibrionne du tracé des gestes sur la musique des mots.

Remplissant un vide, se fondant comme la cire dans le moule d’une pensée, Désordre du discours invente alors un corps glorieux où l’esprit peut se voir en miroir et rêver d’alouettes.

 

© Marc Domage

 

 

Désordre du discours, d’après L’Ordre du discours de Michel Foucault

 

Conception Fanny de Chaillé

Avec Guillaume Bailliart

Son Manuel Coursin

Assistant Christophe Ives

Régie Jérémie Sananes

 

Durée 1 h

 

 

Université Paris 8 – Festival d’Automne

4 novembre 2019

Réservation : +33 1 53 45 17 17

www.festival-automne.com

 

Université Paris Nanterre – Festival d’Automne à Paris

6 et 7 novembre 2019

 

Beaux-Arts de Paris – Festival d’Automne à Paris

8 novembre 2019

 

École des Arts de la Sorbonne – Centre Saint Charles – Festival d’Automne à Paris

10 et 11 décembre 2019

 

Université Paul-Valéry 3 – Montpellier – Théâtre la Vignette

17 et 18 décembre 2019

Route de Mende 34199 Montpellier cedex 5

 

Réservation +33(0)4 67 14 55 98

www.theatre.univ-montp3.fr

 

 

 

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