ƒ article de Victoria Fourel
Il faut vendre la maison. Il faut se débarrasser de cette histoire d’amour passée et de ces sentiments encombrants. Alors, trois personnages se voient, ils se revoient, accompagnés de conjoints et enfant pour deux d’entre eux. Ce dimanche à la campagne, tendu, difficile, ravive les passions, les déceptions, et les remords.
Dans cette mise en scène de Serge Lipszyc, on tente de se parler, on tente de se rencontrer, on tente de laisser de côté les griefs du passé pour résoudre les affaires du présent. Empêtrés dans une histoire trop forte, les personnages doivent trouver les mots, et traverser cette journée sans trop d’encombre. La part belle est donc faite aux personnages et à leurs trajectoires. Le metteur en scène ne mise sur aucun artifice, hormis un dispositif audacieux : faire évoluer les acteurs au milieu des spectateurs, assis partout dans la salle. Le metteur en scène fait donc de nous des témoins, des espions, des membres de cette ‘famille’. En nous prenant à partie, dans le cadre de l’Épée de Bois, qui s’y prête très bien, on ne peut que s’attacher aux conjoints, qui tentent d’être polis malgré les circonstances (mention spéciale à Lionel Muzin, très touchant lorsqu’il essaie de faire la conversation), et aux anciens amants qui se débattent. Il est même parfois tout aussi captivant de regarder les visages des spectateurs pris à partie, autour de ces tables de bois, invités de ce dimanche, ce dernier dimanche.
Outre cette brillante idée, le spectacle s’articule en sorte de tableaux, où les langues se lient et se délient, et où le temps qui s’étire est marqué par quelques éclats de voix, un ‘désir d’en finir’. Mais cette configuration ne sert pas forcément l’état de tension dans lequel sont les personnages. On ne sent pas vraiment que ce sont des adieux qui se jouent, et que, même si on entend très bien la musique, les reprises, les suspens de la langue de Lagarce, on en oublie parfois le drame. Quelques irrégularités de rythme font redescendre la tension, et le désir de jouer partout, sans contrainte de plateau (et donc sans décor et sans lumière), qui amène Derniers remords avant l’oubli directement dans le réel, s’y perd un peu. Il manque parfois un peu de lyrisme, et la sincérité qui se dégage de la scénographie, des costumes, de la parole, perd parfois la force du propos en route. Est-on passé à côté des amours de sa vie ? Est-ce qu’on peut vraiment ‘régler’ ces choses ?
Mais cette parenthèse, ce dimanche dans lequel nous nous cachons, confidents et témoins, parvient à donner l’envie de savoir ce qui s’est passé, ce qui se passera, et de mettre des mots sur ce que les personnages eux-mêmes n’ont pas su se dire à temps. Et lorsqu’il est trop tard, et qu’il faut partir, on aimerait en entendre plus, grâce à ce ‘Lagarce de poche’, malléable et plein de sincérité.
Derniers remords avant l’oubli
De Jean-Luc Lagarce
Mise en scène de de Serge Lipszyc
Avec Bruno Cadillon, Juliane Corre, Valérie Durin, Serge Lipszyc, Ophélie Marsaud, Lionel Muzin.Du 4 au 21 décembre 2014
Théâtre de l’Épée de bois – Cartoucherie, salle studio.
2 route du Champ de Manœuvre 75012 Paris
www.epeedebois.com
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