© Das Weinen
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
De l’artiste suisse Dieter Roth on connaît sans doute davantage les sculptures biodégradables et odoriférantes à partir de fromages ou de chocolat, voire de sucre. Moins sans doute ses écrits. Autre suisse tout aussi singulier (et là, c’est un euphémisme) Christoph Marthaler qui jusqu’ici, de-ci de-là avait distillé dans quelques-unes de ses créations quelques traces sibyllines de cet auteur, avec la même appréhension de l’absurde et du vide, du non-sens de nos vies minuscules et périssables. Antidote à la morosité ambiante ou effet secondaire de cette écriture surréaliste fiévreuse matinée de dadaïsme sévère et chronique, Christoph Marthaler ne voit pas d’autre remède que d’ouvrir une pharmacie. Et dans ce décor clean, aseptisé, hyper réaliste, il se passe de drôles de choses. Les pharmaciennes, blouse blanche et coiffure sévère de rigueur, marmoréennes, impavides, évoluent en un étrange ballet, réglé comme un coucou suisse (évidemment). Chantonnent en chœur du Mozart, particulièrement le Lacrimosa, allez savoir pourquoi. Une histoire de conjonctivite probablement… Et vous récitent du Dieter Roth comme on lit une ordonnance, avec sérieux et professionnalisme. Et quels textes ! Ni queue-ni tête, du non-sens absolu où semble ne compter que la logique jusque l’absurde, et l’allitération jusque la folie… (mention spéciale pour les sous-titres au traducteur, chapeau !). Étranges dialogues, parfois de sourds, qui n’est pas sans rappeler Lewis Caroll. On ne s’étonne plus de rien à vrai dire, ni de cette fontaine à eau réfractaire qui prend la tangente, ni de cette balance qui s’affole, de ces médicaments qui se rebiffent et des posologies comminatoires longues comme un jour sans pain, des plombs qui sautent et des vidéos qui s’effacent. Encore moins de cet étrange et unique client, déplacé comme un mannequin, un simple accessoire que l’on finit par ranger, débitant lui aussi une unique phrase, répétée comme un automate à la mécanique qui bégaie. Et c’est bien là le génie de Christoph Marthaler, d’enrayer tout à coup, de façon parfaitement et consciemment incongrue, la mécanique toute horlogère de cette création, grippée de fait par les textes implosifs de Dieter Roth. Et dans cet univers aseptisé et bientôt contaminé par la langue désarticulée, déglinguée de l’auteur surgit soudain comme un hoquet, sans qu’on y prenne garde, et par le délitement de ce bel ordonnancement, une humanité matinée de mélancolie douce-amère qu’on n’attendait certes pas. Là, même les fontaines à eau peuvent tomber amoureuses d’un pèse-personne, c’est dire.
© Das Weinen
Das weinen (das wähnen), de Christoph Marthaler
D’après l’œuvre de Dieter Roth
Avec Liliana Benini, Magne Havard Brekke, Olivia Grigolli, Elisa Plüss, Nikola Weisse, Susanne-Marie Wrage
Scénographie Duri Bischoff
Costumes Sara Kittelman
Son Thomas Weger
Lumière Christophe Kunz
Dramaturgie Malte Ubenauf
Direction musicale Bendix Dethleffsen
Du 6 au 10 octobre 2021
Théâtre des Amandiers de Nanterre
Au Théâtre éphémère
7 avenue Pablo-Picasso
92000 Nanterre
Réservations 01 46 14 70 00
www.nanterre-amandier.com
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