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Dark Horse, de Meytal Blanaru, aux Instants Chavirés à Montreuil, dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis

Mai 21, 2025 | Commentaires fermés sur Dark Horse, de Meytal Blanaru, aux Instants Chavirés à Montreuil, dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis

 

 

© Pierre Planchenault

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Certains silences ne trompent pas. Ils éclatent et percent bien au-delà de la politesse, de l’attention ou de la retenue. Aux Instants Chavirés, la rumeur accorte d’un quartier populaire ne s’est pas effacée, mais les brouhahas de la salle ouverte sur la rue se sont dissipés comme le reflux soudain d’une marée. Ouvrant cette nouvelle édition des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis (RCI93), Dark Horse s’impose dans le bruit du monde avec une force tranquille et immémoriale, arrêtant net le chaos de nos têtes. Ce qui place et déplace est un regard, long, appuyé et libre à la fois, c’est la présence fragile et souveraine de Meytal Blanaru actant notre présence de part et d’autre d’un espace bifrontal. Regard d’une rare puissance alors qu’il ouvre sur une infinie transparence tout en rayonnant d’émotion. L’état de l’art de Meytal Blanaru se constitue de l’état des forces en présence dans ce prologue muet, proprement fascinant, où l’on se dévisage de part et d’autre. C’est un attelage que l’on prépare ici entre public et performeuse, où les liens de l’intime et de l’altérité se nouent inextricablement. Dès les premiers battements secs de la partition musicale de Benjamin Sauzereau, les chocs qui meuvent le corps de la danseuse se propagent dans le for intérieur de chaque spectateur comme autant de secousses. L’assistance se fait chambre d’écho. Buste dénudé, à fleur de peau, le mouvement est un déboitement, la danse est celle d’un déplacement du jeu des vertèbres et des articulations, épaule, nuque, bras, bassin…, elle est une mécanique de précision : ce sont les rouages du vivant au prise avec la machinerie de l’existence qui ruent ici dans les brancards. Geste après geste, Dark Horse trotte puis galope dans une cavalcade percussive, une chorégraphie sous le régime de l’impact et du contrecoup se creusant sous l’insistance de nos regards. Meytal Blanaru a quelque chose d’un énigmatique Saint Sébastien, transpercée des flèches de nos coups d’œil, son corps se tord, un sourire et une insondable douleur, impartageables, nimbent son visage.

Le dispositif bifrontal structurant autant l’espace de représentation que la matière même de la performance, Dark Horse est construit à la manière d’un recto-verso. Selon notre place dans le public, la pièce s’offre d’abord à nous de face ou de dos, avant de se reproduire au mitan de la performance en inversant alors son rapport avec chaque spectateur. Les muscles dorsaux, leurs enroulements, leurs plis, leurs extensions, sont pareils à des formules alchimiques réfléchissant sur leur vivant grimoire de manière saisissante nos troubles, nos angoisses et nos désirs. Faire l’expérience de la vision d’un tel dos en travail, c’est voir le soubassement, le fondement corporel du psychisme, la charpente de l’esprit. La face, lorsqu’elle nous apparaît dans ce retournement de situation, nous explose au visage : poitrine recouverte de lignes d’encre noire densément entremêlées, s’élançant dans l’ouverture du plexus comme deux ailes, le visage de Meytal Blanaru est alors lui-même ce grimoire magique, aspirant le cortège de ses gestes nerveux se diffractant de par le monde. Ce poitrail vigoureux, animal, sidère et bouleverse : ce que Dark Horse investigue est ni plus ni moins que la locomotion de l’émotion, une physique des mouvements du corps concomitamment aux forces motrices de l’âme.

Y a-t-il un endroit et un envers ? Seul varie le point de vue sans qu’aucune perspective ne soit plus valorisée que l’autre. La beauté de ce geste conceptuel réside dans la confiance dont il investit le regardeur, translatant l’expérience spectaculaire d’une extériorité vers une intériorité : Dark Horse nous fait faire œuvre de mémoire, en nous amenant à revivre un même événement à travers des perceptions distinctes. Dark Horse est véritablement une chorégraphie de la remémoration agissant comme un remembrement du sensible.

De la voir ainsi se parer de gestes qui tracent les lignes géométriques de l’existence, Meytal Blanaru se révèle enfin léonardesque femme de Vitruve.

 

© Pierre Planchenault

 

 

Dark Horse, création et interprétation de Meytal Blanaru

Musique : Benjamin Sauzereau

Dramaturgie : Ido Batash, Olivier Hespel

Création lumière : François Bodeux

Durée : 30 min

 

Le 13 mai 2025 à 19h00 dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis

 

Instants Chavirés

7, rue Richard Lenoir

93100 Montreuil

Tél : 01 42 87 25 91

https://www.instantschavires.com/

 

 

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