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Dans les coulisses de l’Opéra national de Paris, de Laetitia Cénac et Laure Fissore, éditions de La Martinière

Nov 15, 2023 | Commentaires fermés sur Dans les coulisses de l’Opéra national de Paris, de Laetitia Cénac et Laure Fissore, éditions de La Martinière

 

 

ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

 

Les éditions de La Martinière font paraître un nouvel opus dans la belle collection « Dans les Coulisses de … ». Après les coulisses de la loi et celle de la Comédie-Française déjà écrites par Laëtitia Cénacle, puis le Louvre et Chanel, c’est l’Opéra national de Paris qui est parcouru par la journaliste culture du Figaro et croqué par la dessinatrice Laure Fissore qui signe des aquarelles très épurées, lesquelles suggèrent, font ressentir, plutôt que décrire de manière appuyée, l’ambiance de cette grande maison multi-centenaire aux bâtiments et activités plurielles, dirigée depuis 2020 par Alexander Neef.

Les « coulisses » sont entendues au sens large. Il s’agit tout autant d’aller scruter les répétitions du côté tant de la musique que de la danse, que les représentations elles-mêmes, et aussi le quotidien de cette « Grande Boutique » selon le mot de Verdi. L’ouvrage permet en particulier d’observer la savante alchimie entre les métiers artistiques en représentation et ceux de l’arrière-boutique. En approchant les danseurs (en particulier deux Etoiles de ce Ballet si hiérarchisé), chanteurs (solistes comme membres du Chœur), musiciens (de « l’orchestre bleu » et de « l’orchestre vert » ; mais aussi les pianistes des répétitions), chefs d’orchestres et chefs de chœurs, metteurs en scène « novices » ou habitués de l’institution à travers des interviews ou des portraits (on retiendra notamment ceux de la soprano Julie Fuchs ou d’Elisabeth Platel, directrice de l’Ecole de danse), ce sont autant de visions et de regards qui sont offerts sur « l’OP ». Lorsque Guillaume Gallienne à qui Stéphane Lissner a confié la mise en scène de la Cenerentola (sa première mise en scène d’opéra), révèle s’être senti « dans une maison d’engagement » (p. 38), Robert Carsen, « l’homme aux cent mises en scène » qui a marqué les scènes internationales dont celle de l’Opéra de Paris avec une douzaine, dont La flûte enchantée, ou en dernier lieu Ariodante, décrit quant à lui cette capacité à « arrêter le temps » (p. 41).

Mais c’est surtout en les croisant avec les autres métiers constituant autant de rouages essentiels d’une machinerie huilée que l’on mesure la consubstantialité entre les métiers de « l’ombre » (et l’intimité toute particulière des maquilleurs-coiffeurs, et des habilleuses avec les artistes), les « métiers de l’illusion » (décorateurs, costumiers, perruquiers, cordonniers, accessoiristes, éclairagistes, techniciens des magasins des instruments…), de la production (de la régie au planning en passant par la direction de casting et les machinistes), de la communication (relations avec les publics), de la gestion et de l’accueil (le « protocole »). Les chiffres étonnent ou donnent le tournis parfois : 1500 salariés, 110 pianos, 340 000 spectateurs pour la dernière saison de danse, 159 élèves et stagiaires danseurs, 7000 m2 d’ateliers à Bastille entre autres…

Ce que donne aussi à voir l’ouvrage ce sont les espaces de cette  ville » avec ses parties publiques comprenant des joyaux architecturaux et patrimoniaux de l’Opéra, comme le grand escalier, le foyer, le plafond de Chagall (le livre n’aborde pas la polémique relative à son éventuel dépôt à la suite de la demande des héritiers de l’auteur de la peinture d’origine recouverte), ou le rideau d’avant-scène au Palais Garnier, et ses lieux propres aux personnels (des salles de travail à la cantine) jusqu’à ses extensions (qui savait à part ses personnels que la terrasse de Bastille est parsemée de potagers et notamment d’une culture de safran !).

En outre, on entre aussi dans un univers codifié dont les spectateurs connaissent plus ou moins les langages propres à chaque univers, mais aussi la richesse de leurs répertoires respectifs. Si l’époque n’impose plus l’habit (le smoking et la robe longue), pratiqué néanmoins encore par les grands mécènes ou certaines de leurs associations (comme celle de l’Arop – Association pour le rayonnement de l’Opéra de Paris) ou imposé lors des soirées de gala, et que le public présente une hétérogénéité plus grande pour l’opéra que pour les autres arts du spectacle vivant, et que l’ambiance et l’intimidation éventuelle des lieux soit différente à Bastille et à Garnier, une forme de cérémonial est toujours présente à travers la tenue (aux sens propre et figuré) des personnels, auquel on ajoutera la cantonade (« Demandez le programme ») de ceux en charge de la vente du livret et la courtoisie des placeurs en salle.

Les « missions » de l’Opéra recouvrent également un spectre vertigineux. De la formation (la fameuse Ecole de danse située à Nanterre, et l’Académie pour l’opéra) à la conservation et la mémoire (notamment les Ateliers de conservation des costumes, les bibliothèques), en passant par l’accueil des publics dans leurs diversités (notamment à travers une politique de tarification qui a beaucoup évolué, et des volumes d’invitations pour des associations caritatives), la production d’œuvres du répertoire et la programmation de créations, jusqu’aux préoccupations environnementales, les défis sont multiples et constamment renouvelés.

Dans les coulisses de l’Opéra national de Paris est assurément et délibérément un beau-livre qui ne prétend pas poser un regard critique, mais au contraire contemplatif et bienveillant sur un symbole de la culture française et rend un hommage mérité à ses serviteurs. Il peut ravir tout autant les « lyricomanes » et « balletomanes » avertis que les nouveaux amateurs d’opéra et de danse, toutes générations confondues, en apprenant à chacun sur cette institution que l’on croit connaître où des émotions et démonstrations plus fortes que dans les salles de théâtre (aujourd’hui) continuent à se manifester, le public de Bastille comme de Garnier pouvant autant applaudir debout pendant des dizaines de minutes et plusieurs rappels, que siffler et huer copieusement une mise en scène qui lui déplait. L’ouvrage donne ainsi également une pertinence renouvelée à cette expression spécifiquement française, souvent critiquée, de spectacle vivant.

 

Dans les coulisses de l’Opéra national de Paris

de Laetitia Cénac et Laure Fissore

Editions de La Martinière

2023, 224 p., 32 €

 

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