© Simon Gosselin
ƒƒƒ article de Sylvie Boursier
Avoir un opéra dans la tête sans pouvoir l’exprimer, le comble pour un musicien ! On imagine la détresse de Maurice Ravel atteint d’une dégénérescence neurologique avec des difficultés pour parler, bouger et écrire, le musicien se souvient, continue à aimer, reconnait ses proches mais s’enferme progressivement en lui-même dans son Belvédère de Montmorency. Il y vit reclus avec sa gouvernante, Madame Reveleau, sa confidente, aide-soignante, cuisinière, secrétaire, amie, manageuse et… coach à ses heures.
Dans le cerveau de Ravel, variation poétique de Julien Fišera sur la fin de vie du musicien a l’élégance du désespoir, l’humour et la mélancolie d’un Billy Wilder. Vladislav Galard plus touchant que jamais dans le rôle de l’homme qui tient à soigner sa sortie fait face à une Madame Reveleau – Thomas Gonzalez – en tenue de gouvernante, casquée d’un chignon noir, qui a tout du transgenre à la Conchita Wurst. Le comédien, complétement désopilant, fait réciter au musicien aphasique des listes mots « Rouge-queue, rouge-gorge, merle, passereau, coucou, mésange charbonnière, pouillot, pinson, moineau et étourneau. Le dernier c’est toujours l’étourneau. Quand l’étourneau s’y met, le jour s’est levé ». Cette si peu servante à la langue bien pendue, dirigiste et protectrice, se révèle d’une finesse inouïe. « Vous me titillez parce que je suis premier degré » déclare-t-elle à son si peu patron ; contrairement à la servante de Proust, elle le remet à sa place lorsqu’il lui propose de rester dans la maison après sa mort : « Je ne suis pas l’objet du Belvédère ». Il croit la pousser dans ses retranchements en lui demandant ce qu’est le jazz et elle dégaine du tac au tac : « la nuit, les jambes, la sueur », excellent, non ? Le jeu de Thomas Gonzalez est un bijou, regards appuyés vers le public, moue dubitative, œillades désabusées, voix flutée. Le duo passe du prosaïque à la philosophie, avec un Vladislav Galard à l’ironie bienveillante, qui donne le change avec un déphasage aristocratique. En robe de chambre de soie noire, il s’assoit délicatement et contrepète dignement. Ravel-Reveleau, le couple improbable joue de sa paronymie, de son décalage, de sa complicité sur un espace réduit, une vraie maison de poupée.
La musique est naturellement centrale mais, coup de génie, pas là où on l’attendrait, aucune illustration nostalgique du Boléro ou du Concerto pour la main gauche, le batteur Anthony Laguerre nous accueille avec des accords brutalistes, des blocs de sons lancinants sur des montées et des descentes de notes apparemment anarchiques et des timbres inattendus. Ravel appréciait le son industriel : « Dans mon rêve, nous dit-il, tout est mécanisme, il y a un oiseau mécanique qui émet une longue mélodie complexe, des pistons qui sifflent, des chocs de métal, des sons innombrables qui tous se répètent, cycliques (…) et je constate, c’est-à-dire je ne constate pas, je subis, ça se constate, des décalages ». Anthony Daguerre compose en direct une identité sonore singulière, étrange et inquiétante.
On voit Vladislav Galard déambuler la nuit derrière un paravent, ses pas se calent sur la musique et l’on comprend que le compositeur somnambule mourra avec des mélodies dans la tête ; son chant du cygne final, la tête ceinte d’un bandage, a la grâce d’un murmure. Un moment parfait, ne ratez pas cette pépite rare !
© Simon Gosselin
Dans le cerveau de Maurice Ravel, texte de Julien Fišera et Vladislav Galard
Conception et mise en scène : Julien Fišera
Écriture musicale : Anthony Laguerre
Lumières : Kelig Le Bars
Espace : François Gauthier-Lafaye
Costumes : Elisabeth Cerqueira
Avec : Vladislav galard et Thomas Gonzalez
Jusqu’au 10 avril à 20h30
Durée : 1h15
Théâtre Silvia Monfort
106 rue Brancion
75015 Paris
Réservation : 01 56 08 33 88
reservation@theatresilviamonfort.eu
Tournée :
Le 13 mai 2025 au Théâtre des 4 saisons, Gradignan
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