ƒ Article de Camille Scordia

© Radio France

La nuit tombée, sur le boulevard, se rencontrent un dealer et son client. C’est ainsi que commence le texte magistral écrit par Bernard Marie Koltès, qui est ici mis en scène par Roland Auzet, également compositeur de la musique. La pièce s’écoute avec un casque, dispositif qui permet une forme déambulatoire du spectacle, tout en restant dans l’intimité des actrices. Ainsi, le spectacle commence hors les murs. C’est en restituant cette situation initiale de face à face dans la rue, que la pièce commence, devant le théâtre des Bouffes du Nord, boulevard de la Chapelle. Les deux actrices se rencontrent, et aucune ne s’avoue véritablement ce qu’elle est pour l’autre : l’une le dealer, l’autre l’acheteur.

Dans un duel acharné, elles vont tour à tour employer toutes leurs forces et les subtilités de la rhétorique pour nier les rôles que la situation, la nature humaine, leur a assignés : le rôle du demandeur pour l’une, celui du vendeur pour l’autre. Dans un jeu de miroir et de symétrie, les deux femmes qui incarnent ces personnages, Audrey Bonnet et Anne Alvaro, jouent sur la réversibilité des rôles du dominant et du dominé et illustrent la dialectique qui en résulte. Si le demandeur veut obtenir ce qu’il cherche du vendeur, il lui faut déclarer l’objet de son désir, chose qu’il refuse de faire pour ne pas se mettre à nu. De son côté, il est inconcevable pour le vendeur de déballer sa marchandise, car il risquerait de se la faire refuser, une des pires offenses à laquelle un vendeur puisse se heurter. C’est bien sûr la question de la relation à l’autre qui est questionnée, dans toute sa complexité, ses paradoxes.

Le choix de la mise en scène déambulatoire, reliant un espace public – le boulevard – à l’espace intime du théâtre, permet d’enrichir la question des rapports de force qui est au cœur du texte. D’une part, la pièce gagne en réalisme, d’autre part, ce parti pris met le spectateur en position active au début de la pièce. Il cherche à apercevoir les actrices, dans la rue, entre les voitures, et suit leur duel pas à pas vers le théâtre, comme on espionne un couple se déchirer.

Sur le plan de l’interprétation, les deux actrices, Audrey Bonnet et Anne Alvaro, forment un duo où l’animosité semble effacée, par rapport à celle que le texte suggère. Si Audrey Bonnet incarne avec une grande subtilité le mélange de violence, d’agressivité contenue et de vulnérabilité, l’actrice Anne Alvaro ne semble pas vraiment habiter le costume du dealer et sa perversité. Dans la solitude des champs de coton est un texte qui démontre une puissance rhétorique inouïe, où la dépendance à l’autre se révèle être un désir de mort de l’autre. La violence symbolique n’est pas ce sur quoi cette mise en scène a décidé d’insister, malgré une partition musicale qui est pensée avec la dramaturgie. On peut le regretter quelque peu, mais on ne peut s’empêcher d’admirer la puissance du texte, malgré tout intacte.

Dans la solitude des champs de coton
De Bernard-Marie Koltè
Musique et mise en scène de Roland Auzet
Collaborateurs artistiques:Thierry Thieû Niang et Wilfried Wendling
Créateur lumière Bernard Revel
Costumes Nathalie Prats
Informatique musicale : Thomas Mirgaine et Augustin Muller
Remerciements à Sinan Bökesoy, musique électronique et Sophie Agnel, piano
Régie générale : Jean-MArc Beau
Ingénieur du son : Thomas Mirgaine
Elaboration du dispositif sonore Camille Lézer
Assisté de Pierre Brousses, Franck Gélie et Grégory Joubert
Administration Vincent Estève
Administration de production Morgan Audit et Charlotte Weick
Avec Anne Alvaro et Audrey Bonnet

Du mercredi 3 au samedi 20 février 2016
Du mardi au samedi à 21h

Théâtre des Bouffes du Nord
37 bis boulevard de la Chapelle
75010 Paris
Réservation 01 46 07 35 59

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