© Jean-Louis Fernandez
ƒ article de Nicolas Brizault
Dans la solitude des champs de coton. L’histoire est simple, un soir, dans un endroit sombre et désert, un homme attend, les poches pleines de produits illicites en tout genre, qu’un client arrive. Et voilà que ledit client débarque. Et un dialogue fort, complexe et tendu débarque entre les deux, le sûr de lui, le beaucoup moins, l’attendu, le trouvé, tous cela dans tous les sens, le sûr de lui le devient parfois moins, etc.
On entre dans la salle pétrit de magie par ce décor immense et puissant de Massimo Troncanetti et ce dealer visible-invisible, qui attend. On aurait presque envie que l’entrée des spectateurs se fasse dans un silence total, pour être pétrifié davantage. Nous sommes prêts et tout commence, on est fébrile, pour peu de temps en somme. On pourrait se dire qu’on imagine les dealers costauds et les clients timides et « passifs », ce n’est pas le cas. On imagine rien, on n’attend rien, nous sommes libres et plein d’espoir. L’imagination abandonne le rien dans les bras du ressenti.
Le dealer est joué par une femme, ici la très forte Mata Gabin. Elle mène le jeu, dans tous les sens du terme, elle déclame et les mots passent même par son corps, en fait, elle n’a plus vraiment de corps, il est devenu virgules, temps, maintient. Et redevient corps. Force donc. Elle parvient de façon assez splendide à mêler texte et tout le reste. Loin d’être évident tout cela mais elle y parvient en toute simplicité, dans un jeu qu’elle tient, dans lequel elle est elle-même, elle est aussi le dealer, elle est aujourd’hui et demain, ici et maintenant. Charles Berling, qui a créé la mise en scène, est devenu un client dont le jeu nous laisse beaucoup plus dubitatif. Nous avons devant les yeux un personnage qui semble peu construit, comme une sorte de reflet d’on ne sait quoi sur un miroir des plus flous. La peur, la tension du personnage, son appréhension, tout ce qu’on peut percevoir se dilue, et on se retrouve de temps en temps face à un « avare » de Molière. On tâche de saisir une profondeur, on essaie de faire confiance et rien ne vient, le client nous lasse.
Nous voilà plongés dans un texte puissant, certes, bien sûr, évidemment. Quoique… Et l’ennui débarque, se multiplie dans un effet tout sauf approchant une quelconque « psychotropie stupéfiante. » Berling a dû le sentir lui-même et tente par trois fois de réveiller le public avec des explosions sonores brutales, sorte de points d’exclamations sauvages, oui, mais dénués de séduction pulvérisée. Au second, on se dit : « encore !?! »
Ici ou là le bonheur apparaît, on ne sait pas pourquoi et tant mieux, le texte nous prend, jaillit, nous surprend. Puis lassé de nous peut-être il nous laisse tomber, reprend son mouvement façon scie circulaire. Cette peur, cette envie, ce besoin, cette nécessité double décrite par Koltès se diluent ici façon chant grégorien. On devrait gémir, hurler au génie, par un tout petit snobisme stupide, on se dit, c’est du Koltès, joie, bonheur, prospérité. Pas sûr. Non vraiment le combat ne prend pas. Une simple envie de relire, de lire ?
Par contre, sans aucune vilenie facile, la fin, oui, est un jaillissement efficace.
Dans la solitude des champs de coton, de Bernard-Marie Koltès
Mise en scène Charles Berling
Conception du projet Charles Berling, Léonie Simaga
Collaboration artistique Alain Fromager
Décor Massimo Troncanetti
Lumières Marco Giusti
Son Sylvain Jacques
Assistante à la mise en scène Roxana Carrara
Regard chorégraphique Frank Micheletti
Avec Mata Gabin, Charles Berling
Du 15 au 17 mai 2019, à 20h
Durée 1h15
Grande Halle de la Villette
211, avenue Jean Jaurès
75019 Paris
Renseignements : T+ 01 40 03 75 75
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