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Dans la mesure de l’impossible, texte et mise en scène de Tiago Rodrigues, Odéon-Théâtre de l’Europe, Ateliers Berthier / Festival d’Automne à Paris

Sep 23, 2022 | Commentaires fermés sur Dans la mesure de l’impossible, texte et mise en scène de Tiago Rodrigues, Odéon-Théâtre de l’Europe, Ateliers Berthier / Festival d’Automne à Paris

 

 

© Magali Dougados

 

ƒƒ article de Denis Sanglard

Ce ne sont pas des héros. Du moins ne se définissent-ils pas comme ça. Non, c’est juste « un job ». Ce sont les travailleurs humanitaires. Qui racontent leur quotidien au cœur des conflits, dans ces pays « impossibles ». On ne saura rien de ces pays, pas de nom, malgré quelques indices. Voilà, pour éviter tout jugement. Qu’importe, les conflits et leurs cortèges d’atrocités, la misère des pays en souffrance, les famines, les catastrophes naturelles, finissent tragiquement par tous se ressembler. Mais comment représenter ça ? Non pas, comme le dit avec justesse un des protagonistes, ce qui s’est passé, mais comment ça s’est passé. Il faut y être, au cœur même de l’impossible, pour comprendre de l’intérieur le basculement irréversible dans une autre réalité, incompréhensible pour qui n’y est pas. L’impossible, d’ici où nous sommes, ne peut s’appréhender. Pas des héros, peut-être, qui savent qu’ils ne changeront pas le monde, qui n’ignorent pas leur fragilité, la peur aux tripes, capable de saisir dans cet impossible, où le danger vous expose salement, des instants miraculeux et délicats, fugaces et fragiles, incongrus même. Nul n’est indemne et la vocation, on peut parler de ça, résiste tant bien que mal au coup de boutoir d’une réalité que la fiction ne peut ou peine à représenter, aux limites de leurs actions. Nul n’est indemne et nul ne prétend à la vérité, mais qui le peut dans l’urgence ? Une certitude cependant, le monde du possible peut brutalement devenir celui de l’impossible…

Ecrit à partir d’entretiens d’une trentaine de collaborateurs du Comité International de la Croix Rouge, de Médecins sans Frontières, c’est le vécu et le quotidien de ces femmes et de ses hommes qui est au centre de ce théâtre « documenté », pour reprendre l’expression exacte de Tiago Rodrigues. Et devant l’impossibilité de la représentation de ce qui est évoqué, c’est la parole même qui est mise en scène. Une parole recomposée, qui tisse serrée l’expérience de chacun, que quatre comédiens se partagent. Pas d’effet, quelques déplacements, quelques gestes esquissés, et une scénographie épurée. Une vaste toile blanche qui lentement au fil du récit se soulève. Montagne, frontière, tente, tout ça à la fois. Tiago Rodrigues excelle dans cet exercice. Trouvant une juste distance, toujours sur un fil entre réalité et fiction, la fiction n’étant que la recomposition de cette réalité non oblitérée, évitant ainsi tout pathos, toute obscénité. C’est parfois violent et rude à entendre, oui, qui complète ce que nous pensions savoir, vaguement, mais dynamite très vite nos préjugés de citoyens d’un monde « possible ». Par cette mise en scène qui s’efface devant la narration, notre imagination recompose et décompose le récit à l’aune de ses propres références mais qui très vite cèdent devant le hors-champ par nous et par force ignoré que ces hommes et femmes au centre des conflits exposent. Nous sommes au cœur de l’humain, au-delà du champ politique mais qui de fait le rejoint et c’est ça que Tiago Rodrigues met en exergue. Et quand la parole s’épuise de trop d’émotion, de violence ou de la difficulté à exprimer l’innommable, qui vous submerge, la musique prend le relais du langage. La batterie de Gabriel Ferrandini prend en charge l’insoutenable. Rien d’une pause mais un prolongement de ce qui est énoncé jusqu’au malaise parfois. Les comédiens eux-mêmes n’en rajoutent pas dans la surenchère, ne jouant pas la situation mais avec beaucoup de subtilité jouent sur les ressorts narratifs sans trahir jamais la parole donnée de ces humanitaires. On nous raconte mais comme détaché de soi-même et si parfois les digues craquent c’est parce qu’il a fallu choisir quel enfant sauver quand il n’y avait plus qu’une poche de sang pour l’ensemble, quand on assiste à l’exécution froide d’une chirurgienne par celui-là même qu’elle avait sauvé… Enfin et c’est peut-être là aussi la réussite de cette création, c’est de démontrer comme le demandait un des humanitaires interrogé, la complexité de tout ça, l’ambivalence de ces expériences extrêmes, de ses vies bousculées à la résilience parfois difficile. Et c’est toucher là, avec profondeur, à l’humanité dans son ensemble dans ce qu’elle peut avoir de pire comme de meilleur. Et si nous devions résumer la parole de ces femmes et de ces hommes, quoi de plus simple et facile de reprendre la conclusion lapidaire de cette humanitaire sur cet impossible traversé : « What the fuck ! »

 

© Magali Dougados

 

Dans la mesure de l’impossible, texte et mise en scène de Tiago Rodrigues

Avec Adrien Barazonne, Béatrice Bràs, Baptiste Coustenoble, Natacha Koutchoumov et Gabriel Ferrandini (musicien)

Traduction : Thomas Resendes

Scénographie : Laurent Junod, Wendy Tokuoka, Laura Fleury

Lumière : Rui Monteiro

Son : Pedro Costa

Collaboration artistique, costumes : Magda Bizarro

 

Du 20 septembre au 14 octobre 2022

Du mardi au samedi à 20 h, le dimanche à 15 h

Durée 2 heures

En français, anglais et portugais, surtitré en anglais et en français

 

 

Odéon-Théâtre de L’Europe

Ateliers Berthier

1 rue André Suares

75017 Paris

 

Réservations : 01 44 85 40 40

theatre-odeon.eu

 

 

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