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Dans ce jardin qu’on aimait, d’après Pascal Quignard, adapté et mis en scène par Marie Vialle, Cloître des Célestins, Festival d’Avignon In

Juil 18, 2022 | Commentaires fermés sur Dans ce jardin qu’on aimait, d’après Pascal Quignard, adapté et mis en scène par Marie Vialle, Cloître des Célestins, Festival d’Avignon In

 

 

 

© Christophe Raynaud de Lage
 

ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

 

 

 

Cela commence par le chant des cigales, se poursuit par le son des gouttes d’eau dans l’arrosoir, puis la diversité des chants savants des oiseaux avant de finir par les tonalités inattendues de la cornemuse et la plainte mélancolique du violoncelle.

 

Tout comme Monsieur de Sainte-Colombe dans Tous les matins du monde, le pasteur américain Simeon Pease Cheney dans Dans ce jardin qu’on aimait inconsolable de la perte de sa femme, morte en couches, va se réfugier dans les sons de la nature et de la musique pour à la fois rester dans le souvenir de la femme aimée et survivre au deuil en s’imprégnant d’elle dans chaque composant ou évocation de ce jardin qu’elle chérissait.

 

La proximité des deux romans (le premier publié en 1991 et le second en 2017) de Pascal Quignard est étonnante dans leur évocation de l’écoute attentive du monde, recommandée à ceux qui ont « des oreilles pour écouter ».

 

Dans ce jardin qu’on aimait est une réflexion méditative à travers l’histoire vraie d’un homme qui a fait lui-même le propre récit de son expérience sensorielle dans un ouvrage intitulé Wood notes wild lequel a inspiré le romancier français. Si Olivier Messiaen est cité à juste titre, puisqu’il écrivit des compositions à partir de chants d’oiseaux (voir notamment Réveil des oiseaux en hommage à l’ornithologue Jacques Delamain) un siècle après Cheney, on pense inévitablement également à Thoreau, qui fut son contemporain et concitoyen, lequel certes ne composa pas de partition, mais décrivit dans Walden la solitude volontaire et assumée de sa vie au plus proche de la nature le conduisant également à une écoute de ses sons et frémissements d’une finesse remarquable. Thoreau en a tiré des enseignements économiques et politiques, Simeon Pease Cheney une expérience métaphysique. Il est dit qu’il s’est éloigné de Dieu pour se rapprocher de la nature, mais cela est presque un non-sens tant son deuil et ce qu’il en fit furent une expérience mystique. S’il quitta certes sa charge, c’est pour mieux se rapprocher de ce qui fait l’essence du monde.

 

La douleur extrême et indépassable de son deuil le plonge dans un premier temps dans une telle tristesse qu’il ne peut accueillir la joie de la naissance de sa fille  Rosemund et qu’il va rejeter parce qu’il la rend sans doute inconsciemment responsable du décès de sa mère, et parce que plus elle grandit, plus elle la lui rappelle. Un désir incestueux irrépressible arrivant à son acmé quand elle atteint le même âge que celui du décès de la défunte, le père rejette sa fille pour mieux les préserver tous les deux ou plutôt tous les trois.

 

Ils se retrouvent des années plus tard, après les chemins de vie accomplis par chacun. Le retour aux sources pour Rosemund qui ne peut plus entendre ni les bruits de la ville parmi les villes (New-York), ni les sons pourtant harmonieux du piano qui l’a fait vivre (en donnant des leçons). Elle revient vers son père volontairement. Elle revient au jardin résolument. Elle revient à l’essentiel, à son origine, à une forme de pureté sensorielle et d’appêtit créateur avec son géniteur, échangeant et multipliant les expériences et études ornithologiques.

 

Marie Vialle porte la puissance de cette histoire, qu’elle s’est appropriée aussi bien comme metteuse en scène que comédienne, avec une sensibilité extrême, dans un dépouillement scénographique approprié. Dans le décor naturel de ce Cloître magique des Célestins où la végétalisation s’impose naturellement dans les interstices de ses pierres et piliers multi-centenaires et la puissance de ses deux platanes légendaires, tout ajout pouvait sembler superflu : un sol minéral, des tissus pastel comme des voiles, telles les branches souples de certains arbres ou roseaux qui plient mais ne rompent pas, jeux des caprices de la nature, et notamment du mistral qui soufflait par moments avec rage et à propos sur le plateau. Quel don du ciel quand le Dionysos de la 76ème édition du Festival envoya une rafale au moment où l’écorché vif Yann Boudaud disait que le vent s’engouffre, quand les akènes des branches violemment secouées tombaient tandis que Boudaud/Cheney frappait brutalement toutes les parties de son corps le punissant de son insupportable sensation de voir sa fille vivante.

 

La pièce s’achève sur le violoncelle, connu par être l’instrument à la fois le plus proche de la voix humaine et le plus charnel, un instrument que l’on enlace, entoure, étreint, tant est si bien que le corps naturellement dénudé ne fait plus qu’un avec l’instrument quand les lumières du plateau s’éteignent doucement.

 

On sort du Cloître dans un état un peu second, avant de devoir affronter l’effervescence de la place des Corps-Saints qui impose sa réalité, on scrute une fois atteintes les rues plus calmes un pépiement ou un bruissement, mais il faudra attendre patiemment les premiers gazouillis discrets apportés par l’aurore, laisser resurgir les prouesses poétiques de Marie Vialle de la veille et accepter la beauté du monde.

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

Dans ce jardin qu’on aimait

D’après Pascal Quignard

 

Conception et mise en scène : Marie Vialle

Collaboration à la mise en scène : Eric Didry

Adaptation : David Tuaillon et Marie Vialle

Scénographie et costumes : Yvett Rotscheid

Son : Nicolas Barillot

Lumière : Joël Hourbeigt

Travail vocal et musical : Dalila Khatir

 

Avec : Yann Boudaud, Marie Vialle

 

Durée 1h30

 

Dans ce jardin qu’on aimait

Cloître des Célestins

Place des Corps-Saints – Avignon

Jusqu’au 16 juillet, 22h

 

Tournée en 2022-23 :
Aix-en-Provence (Le Bois de l’Aune), Toulon
(Châteauvallon), Nice (TNS), Paris (Théâtre de la Bastille), Toulouse
(Théâtre Garonne), Lyon (Théâtre des Célestins), Châlons-en-Champagne
(La Comète)

 

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