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Dancer of the year, de et avec Trajal Harrell, à La commune – CDN Aubervilliers

Jan 27, 2022 | Commentaires fermés sur Dancer of the year, de et avec Trajal Harrell, à La commune – CDN Aubervilliers

 

© Orpheas Emirzas

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Sacré Meilleur danseur de l’année en 2018 par le magazine Tanz, on peut comprendre qu’une telle estampille puisse à la fois honorer et effrayer. Car dans toute médaille il y a du collier, même honorifique. Et dans un palmarès annuel il y a une impasse certaine sur les prolongements d’une œuvre au-delà du coup de projecteur.

Dancer of the year est donc la réponse de la bergère au berger, une réponse comme un pas de côté devant l’écrasant prestige qui lui est fait. On pourrait presque croire à l’un des portraits dansés de Jérôme Bel, mais non.

Dans la petite salle de La Commune, il y a juste un rectangle blanc formé de tapis de danse, et sur ce rectangle, un tapis de paille, et sur ce tapis de paille, un tapis rouge. Un podium au ras du sol : red carpet. Lorsqu’il paraîtra, Trajal Harrell sera vêtu d’un pantalon de jogging noir orné des fameuses trois bandes blanches, et d’un tee-shirt à manches longues également noir. Sans oublier un masque en plastique façon cartoon, qui lui donnerait l’air, avec le sac de sport en bandoulière, d’un cambrioleur. Effraction donc, comme une fausse piste, puis le masque très vite déposé. Bas les masques donc !

Lançant et arrêtant lui-même les plages musicales successives depuis un ordinateur portable posé sur un tabouret, Trajal Harrell pose d’emblée le caractère informel de la forme, comme s’il pouvait s’agir d’un travail de répétition dans un studio de danse. Si cette hypothèse résiste dans un premier temps, conforté par un regard d’abord introspectif, et le 4ème mur qu’il suggère, elle vole assez vite en éclat par la puissante présence qui s’exprime dans sa danse et qui malgré tout s’adresse à nous. Il y a quelque chose de paradoxal dans cette intériorité qui essaime à fleur de peau, comme une pudeur impudique, donnant aux volutes de l’âme les volumes du corps. Je pense aussi à cette performance de Giuseppe Penone dans laquelle des lentilles réfléchissantes étaient appliquées sur ses yeux, inversant le regard, mais révélant étrangement le visage comme s’il devenait entièrement le reflet de l’âme.

Passant d’une danse à l’autre, Trajal Harrell sortira diverses robes qu’il portera tour à tour, passées simplement par-dessus le pantalon Adidas. Queerness, trouble dans le genre, bien sûr. Mais cela n’est vraiment pas le propos. Ou dit autrement, ce propos est désormais une histoire ancienne. Ces robes : autant de peaux de serpent dans la mue du danseur. Elles ne figurent rien, sinon le tourbillon que leur imprime Trajal Harrell.

Non, ce qui est offert va bien au-delà d’un message queer, même si la danse de Trajal Harrell emprunte largement et cannibalise les mouvements genrés des uns et des autres, tout comme affleure la liberté fluide et déliée d’une Isadora Duncan. Ce qui est dévoilé, dans ces transes de Salomé, ce n’est pas la tête d’un Jean-Baptiste mais le cœur de l’artiste donné en partage.

Les danses de Trajal Harrell sont une effectuation d’un état d’être. La play list est une cartographie, un état des lieux d’un Trajal Harrell se mettant dans tous ses états. En ce sens c’est un coup d’état qui fait autant vaciller le cœur du spectateur.

Dans un monde de la danse contemporaine qui privilégie les formes abstraites et la conceptualisation des propositions, Trajal Harrell fait littéralement figure, offrant un corps et une danse bouleversés, soulevés par les émotions, les produisant avec un véritable sens de la dramaturgie. Il y a même si l’on ose la comparaison quelque chose de Gena Rowlands et du cinéma de Cassavetes, tel Love streams, dans cette offrande au public.

Les improvisations tourbillonnantes, luxuriantes, de Keith Jarrett, pareilles à des vortex, étourdiront un Trajal Harrell en joies, en pleurs. Et les râles de bonheur et douleur mêlés se confondront avec ceux du fameux pianiste attestant une dernière fois de cette insoutenable et irrésistible beauté de l’être dans le corps.

Trajal Harrell est définitivement le danseur de l’instant retrouvé.

 

Dancer of the year, chorégraphie, danse, musique, costumes : Trajal Harrell

Dramaturgie : Sara Jansen

 

 

Du 21 au 23 janvier 2022

Vendredi à 20 h 30, samedi à 18 h, dimanche à 16 h

Durée : 1 h

 

 

La Commune

Centre dramatique national Aubervilliers

2 rue Édouard Poisson

93300 Aubervilliers

Tel. +33 (0)1 48 33 16 16

www.lacommune-aubervilliers.fr

 

 

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