Critiques // « Daisy », Texte, scénographie et mise en scène de Rodrigo Garcia, au Théâtre du Rond-Point

« Daisy », Texte, scénographie et mise en scène de Rodrigo Garcia, au Théâtre du Rond-Point

Mar 09, 2015 | Commentaires fermés sur « Daisy », Texte, scénographie et mise en scène de Rodrigo Garcia, au Théâtre du Rond-Point

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

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© Christian Berthelot

On ne souligne sans doute jamais assez la dimension littéraire et poétique des créations de Rodrigo Garcia. La force et l’originalité des images proposées et sur lesquelles nous nous focalisons occulte parfois le texte. Et ce qu’il y a de formidable avec « Daisy », c’est d’entendre et de confirmer combien Rodrigo Garcia est un auteur dont les textes ont une puissance toute aussi égale aux images crées sur le plateau par le metteur en scène radical qu’il est aussi. Seulement jusqu’à présent on ne retenait des performances que les propositions visuelles, toutes singulières, pertinentes et d’une grande force. Certains même, aveugles et sourds, n’attendaient que le scandale, ne retenait que le scandale qu’ils alimentaient, sans voir l’originalité, polémique certes, d’un artiste radical et sincère dont l’écriture avait tout aussi de sens que la performance offerte sur un plateau devenu champs d’expérimentation. Qui se souvient pourtant du texte « Golgotha Picnic », pour exemple, dont le scandale a éclipsé la valeur littéraire et son contenu réel ? Ou de « c’est comme ça et me faites pas chier ! » qui amorçait déjà une relative accalmie, sans image choc, où le texte émergeait de performances apaisées et tout aussi justes. Dernièrement la reprise de « Et balancez mes cendres sur Mickey. » permettait avec le recul de redécouvrir l’œuvre à sa juste valeur, passé donc la surprise et le choc des images polémiques, comme un ensemble où le texte avait autant de valeur que la performance qui en découlait. Avec Daisy – est-ce un nouveau tournant ou simplement la continuation logique ? – c’est le texte qui est mis en scène. Jusqu’alors les comédiens étaient la matière des créations de Rodrigo Garcia. Ici ils sont comme en retrait. Le texte devient la matière de cette nouvelle création. Peu d’images, pas de performance en soi, mais des monologues illustrés d’images projetés, c’est tout ou presque. Le texte, lui, est projeté non comme des sous-titres classiques, mais comme élément de la scénographie. Il s’affiche à l’égal des images vidéo fabriquées en direct. Grouillement de cafard, amas d’escargot, tortue d’eau flottante dans son aquarium. Deux chiens. Rien d’extraordinaire, juste l’illustration de ce qui est proféré. Et un court métrage d’une banlieue résidentielle sinistre de solitude, cimetière où errent des fantômes. Et c’est bien de solitude qu’il s’agit. De nos vies minuscules en déshérence, la perte de sens, le vide de nos vies creuses, la perte du langage où le smiley se substitue au mot juste. Cette vie moderne mortifère qui tourne à l’absurde, nous fait agir de façon tout aussi absurde en quête d’un confort matériel vain, sans but, sans idéaux. Ou le rêve et l’imaginaire ne sont plus, balayés par l’angoisse urticante de notre quotidien tristement conforme, banal et sans horizon dans nos banlieues résidentielle, si loin de la réalité brutale du monde des vivants. Nous sommes les fantômes de notre propre vie…nous sommes des chiens errants en quête d’affection comme ceux qui errent sur le plateau. A la recherche d’un maître qui saurait nous aimer. Avoir un semblant de relation. Nous sommes Daisy. Notre seul espoir, seul refuge sans doute, réside dans le langage, la littérature. Pour Rodrigo Garcia la vérité, le sens du monde est dans la poésie. Pour ne pas mourir, il faut y plonger. « Daisy » est empreint d’une tristesse noire et lumineuse. La colère, la rage qui caractérise l’univers de Rodrigo Garcia est tombée. Provisoirement c’est certain. Il y a quelque chose de calmement désespéré. Un regard toujours lucide, aigu, tendre –oui- sur notre société déliquescente. La dernière image, la dernière action, avoue brutalement et simplement le désespoir et l’impuissance. Inattendue, on frissonne soudain, renversé, ému. « Daisy », par ce qu’elle induit et par son traitement singulier, est sans nul doute la plus provocante des créations de Rodrigo Garcia…

« Daisy » texte, scénographie et mise en scène de Rodrigo Garcia
Avec Gonzalo Cunill, Juan Loriente, Le Quatuor Léonis
Traduction, Christilla Vasserot
Assistant à la mise en scène, John Romao
Lumières, Carlos Marquerie
Vidéo, Ramon Diago
Espace sonore, Daniel Romero
Sculpture Daisy, Cyrill Hatt
Perruques, Catherine Saint-Sever
Costumes, Méryl Coster
Éducateur canin, José-Claude Pamard
Régie son, Vincent Le Meur
Régie plateau, Jean-Yves Papalia
Direction technique, Roberto Cafaggini

Du 4 au 8 mars 2015, 20h30
Dimanche, 15h

Théâtre du Rond-Point
2bis av. Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
Réservations 01 44 95 98 21
www.theatredurondpoint.fr
Tournée : 31 mars/2 avril 2015, hTh / CDN Montpellier (34)
29 mai/31mai 2015 Teatros del Canal / Madrid (Espagne)

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