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Cyrano de Bergerac, d’Edmond Rostand, adaptation et mise en scène de Katja Hunsinger et Rodolphe Dana, au Théâtre du Peuple de Bussang

Août 17, 2023 | Commentaires fermés sur Cyrano de Bergerac, d’Edmond Rostand, adaptation et mise en scène de Katja Hunsinger et Rodolphe Dana, au Théâtre du Peuple de Bussang

 

© Christophe Raynaud de Lage

fff Article de Denis Sanglard

 

Au Théâtre du Peuple de Bussang, le nez de Cyrano qui en tout lieu le précède fait un juste triomphe. C’est une mise en scène sans affectation, avec raison tout entière attachée au texte, pris au premier degré, avec une naïveté lucide et volontaire qui en fait sa force et son succès, ces vers de mirlitons capables, miracle, de délabyrinther le tragique d’une passion impossible avec une simplicité désarmante, sans emphase, signant de fait un vrai chef d’œuvre populaire (qui n’est pas un vilain mot).

Dans l’écrin du théâtre en bois de Bussang, Cyrano de Bergerac trouve avec évidence sa raison et son public, à se demander pourquoi cette pièce n’y avait pas été montée plus tôt. C’est une mise en scène intelligente, vibrionnante, avec trois fois rien pour que s’y engouffre sans obstacle notre imagination et perlent nos émotions, où le texte est embrassé à bras-le-corps, à rebrousse-poil aussi des conventions et usages, dans son extraordinaire dynamique et fluidité, impulsant à la mise en scène sa formidable arythmie, épousant les battements de cœur d’un amour désaccordé. Katja Hunsinger et Rodolphe Dana ont privilégié l’urgence, la fébrilité, l’énergie, la spontanéité, dégraissant de tout afféterie amidonnée, d’effets empesés cette comédie héroïque, ce drame romantique, ce bel impertinent pied-de-nez hugolien. La pièce court fissa à son terme, file à perdre haleine et toute droite vers sa résolution, sans temps mort aucun. Simplicité de moyen et d’effet ne veut pas dire pour autant « goutte à l’imaginative ». Loin s’en faut. On y entend même, sacré culot, chanter du Barbara et du Jean Ferrat comme on chanterait un madrigal. Au premier acte, le Théâtre de Bussang ainsi occupé en son entier, de la scène aux travées, se métamorphose en l’Hôtel de Bourgogne. Au second, l’auberge de Ragueneau voit un défilé de marmitons conçu comme une comédie- ballet. Et il ne manque pas une lune pleine pour éclairer le balcon où Cyrano souffle son texte à Christian, trahissant son amour impossible pour sa cousine. Et l’ouverture des portes tant attendue, et aussitôt applaudie, participe subtilement lors de la Bataille d’Arras à la dramaturgie. Ouvertes au tiers seulement, au risque de notre frustration, les deux metteurs en scène font ainsi se dérouler le conflit à l’extérieur. La scène désormais vide de ses cadets de Gascogne devient un huis-clos sensible qui voit, alors concentré, le drame se nouer entre Cyrano, Christian et Roxane. C’est au dernier acte que les portes enfin sont grandes ouvertes sur cette perspective montagneuse, cette clairière qui fait du Théâtre du Peuple son originalité. Cyrano meurt avec panache au pied de son arbre, suivant en cela les didascalies, hors de scène donc et cela a son importance symbolique ici puisque retrouvant là, libéré enfin de son secret, sa vérité, sa vie n’ayant été qu’une comédie que la mort dénoue et dépouille tragiquement de sa théâtralité. L’expression « quitter la scène » prenant ici tout son sens.

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

Ce qui importe également pour les deux metteurs en scène est la vérité des sentiments gravés avec génie par ces drôles d’alexandrins, inscrivant l’héroïsme dans la trivialité, dans ce jeu de dupe, ce quiproquo tragique. Avec cette pièce il y a quelque chose d’imparable qui étrangement résiste à tout, c’est ce maelstrom d’émotions, loin d’être ridicule, qui monte sans coup férir, vous bouscule sévère et auquel quoiqu’on s’en défende on ne résiste pas. Bonheur pour les comédiens qui s’emparent de leur rôle, dirigés au cordeau, avec une énergie sans faille, sans jamais tomber dans le cliché rebattu. Roxane est loin d’être le petit tanagra fragile et délicat, précieuse un peu bêcheuse. Laurie Barthélemy avec conviction lui donne un sacré caractère, jeune fille résolue, têtue et volontaire. Elle a la fougue et l’impudence amoureuse qui fait se rompre toutes les digues des conventions et de la bienséance. Christian (Olivier Dote Doevi) ne la joue pas jeune premier, beau gosse et tout le toutim. Il est désarmant, fragile et désarmé devant des sentiments contradictoires et une mascarade qui très vite le dépasse et le pousse au sacrifice. Et Cyrano ? Rodolphe Dana s’en tire avec les honneurs. Il s’empare haut la main de ce rôle vertigineux et monstre avec un talent certain et bravache qui sied au personnage. Des scènes cultes  (la tirade des nez, la scène du balcon, sa mort…) il fait de chacune d’elle un heureux sort, d’une sincérité qui vous poigne, lui offrant relief, pleins et déliés, jouant même de sa fatigue. Et il peut compter sur un public acquis tout à sa cause allant jusque lui souffler sans qu’il en soit nécessaire les répliques (ça, en hommage à la spectatrice qui, derrière moi, ne manquait pas de finir chaque vers.)

Mais il faut souligner combien l’ensemble de cette troupe, et c’est la force et la singularité du Théâtre du Peuple de Bussang, porte ce chef d’œuvre de Rostand avec une énergie, un bonheur évident. Comédiens amateurs et professionnels d’un même élan traversent cette pièce avec un talent fou, une générosité sans borne et communicative. Du panache, ils en ont tous et le nez ce Cyrano ne leur fait pas ombrage. A la fin de l’envoi, tous, ils touchent !

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

Cyrano de Bergerac, d’Edmond Rostand

Adaptation et mise en scène Yanua Compagnie (Katja Hunsinger et Rodolphe Dana)

Assistante mise en scène : Lena Dana

Avec
Victoria Allé, Laurie Barthélémy, Nathan Boillot, Rébecca Bolidum, Victorien Bonnet, Antonin Brizard, Rodolphe Dana, Olivier Dote Doevi, Martial Durin, Hugues Dutrannois, Antoine Kahan, Thomas Meyer, Marie-Blanche Monteleone, Léon Ostrowsky, Mathilde Toussaint, Céline Véron,
et une dizaine de figurants

Création lumière : Valérie Sigward et Manon Bongeot
Création et régie son : Jefferson Lembeye
Création costumes : Irène Jolivard
Scénographie : Adèle Collé
Maître d’arme : François Rostain, assisté de Pierre Berçot
Régie générale : Emma Ricard
Régie lumière : Julie Lorant

 

Jusqu’au 2 septembre 2023

Du jeudi au dimanche à 15h

 

Théâtre du Peuple

40 rue du Théâtre

88540 Bussang

 

Réservations : 03 29 61 50 48

www.theatredupeuple.com

 

 

 

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