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Curtain Call ! de Judith Rosmair, mise en scène Johannes von Matuschka et Judith Rosmair, Théâtre de la Colline

Jan 11, 2024 | Commentaires fermés sur Curtain Call ! de Judith Rosmair, mise en scène Johannes von Matuschka et Judith Rosmair, Théâtre de la Colline

 


© Ebby Koll

 

ƒƒƒ article de Corinne François-Denève

On connait bien l’angoisse du gardien de but au moment du penalty (« Die Angst des Tormanns beim Elfmeter »). On est également familier avec celle de l’actrice la veille de la première : des films comme Opening Night, ensuite transposé sur les planches, l’ont amplement documentée. Ici, ce n’est pas Myrtle Gordon ou Margo Channing qui apparait en scène, cigarette en main, pour dénoncer la cruauté que le théâtre fait aux femmes, et aux actrices. S’agit-il alors de Judith Rosmair elle-même, autrice et actrice de ce Curtain call ! (le point d’exclamation est significatif) ? Dans ses interviews, la comédienne allemande, vue chez Ostermeier ou Ivo van Hove, chez qui elle campait une incroyable Célimène charnelle et affamée de plaisirs, ne fait pas mystère d’une inspiration qu’elle qualifie d’autofictive.

Lorsque commence la pièce, alors que le plateau est baigné d’un très beau clair obscur bleuté, on distingue un corps de femme, allongé sur un lit de fortune. La femme se tortille. Elle psalmodie. « Anna »… « Mamma »… Une régression, une glossolalie ; des mots qui s’associent pour faire revenir des maux, convoquer des fantômes, peut-être toucher, alors, au cœur de l’obscurité, le mystère de l’incarnation. L’actrice cherche à rejoindre celle qu’elle doit interpréter le lendemain soir – rien moins qu’Anna Karénine. Elle n’en dort plus, elle n’en mange plus ; ce rôle l’obsède : sera-t-elle à la hauteur ? Car il y a, demain, inéluctablement, l’appel impérieux du rideau.

L’heure du spectacle couvre la durée de cette nuit. Et la nuit, comme le théâtre, est propice aux évocations magiques : des bottes fourrées, une toque, une machine à fumée, un trombone qui évoque le sifflement du train, oui, voilà, elle est là, Anna Karenina ! Une apparition. Un personnage en quête du corps d’une actrice, qu’il va habiter ou vampiriser. Mais une autre hantise vient à la rencontre de la comédienne, de l’autre côté du pont : celle de « Mamma », qui a fait découvrir à la comédienne, enfant, le roman de Tolstoï ; cette mère dont l’actrice parcourt le journal, à la poursuite de sa propre enfance, ou de révélations.

Pendant un peu plus d’une heure, Judith Rosmair brûle les planches. Elle court, crie, virevolte, déclame, chante. Son texte, d’une grande finesse, passe par toutes les gammes. Pourquoi, finalement, Othello devrait-il être un homme ? Pourquoi pas Othella ?  Pourquoi le théâtre se conclut-il toujours sur la défaite des femmes ? Et combien y a-t-il de façons d’accommoder les patates ? Souvent émouvant, le spectacle est aussi très drôle. Rosmair sait en effet tout faire : elle est autrice, actrice, chanteuse, clownesse, danseuse, interprétant et du Kurt Weill et du Serge Gainsbourg, quand elle ne se crée pas elle-même au son d’Ainsi parlait Zarathoustra.

La scénographie est simple et efficace : des praticables, qui dessinent un plateau posé sur le plateau, et qui peuvent figurer la trappe d’un théâtre. La comédienne les manœuvre, les renverse, s’y suspend, gymnaste gracile et légère. Comment un si petit corps, si beau, peut-il être si puissant ? A ses côtés, Johannes Lauer, au trombone, au piano et à l’euphonium, vient ponctuer le texte. Une heure dix en allemand surtitré – mais le surtitrage, aussi, est somptueux : le nom de Vronski répété qui dessine un cœur, comme dans un calligramme adolescent et sentimental, les recettes de patates en forme de liste oulipienne…

La nuit remue et se termine. A-t-on rêvé ? Sommes-nous faits de l’étoffe dont sont tissés les songes ? Où est Anna Karénine ?

 

© Ebby Koll

 

Curtain Call !, de Judith Rosmair

mise en scène Johannes von Matuschka et Judith Rosmair

avec Judith Rosmair et le musicien Johannes Lauer

musique Uwe Dierksen

traduction Uli Menke

 

Du 9 au 21 janvier 2024, du mercredi au samedi à 20h, le mardi à 19h et le dimanche à 16h

 

Durée : 1h 10

 

La Colline — théâtre national

15 Rue Malte-Brun

75020 Paris

 

Réservations : 01 44 62 52 52

www.colline.fr

 

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