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Crowd, conception et chorégraphie de Gisèle Vienne, au théâtre Nanterre-Amandiers

Déc 12, 2017 | Commentaires fermés sur Crowd, conception et chorégraphie de Gisèle Vienne, au théâtre Nanterre-Amandiers

© Estelle Hanania

ƒƒƒ article de Jean Hostache

C’est un véritable chef-d’œuvre qui s’installe sur la scène de Nanterre-Amandiers. Avec Crowd, Gisèle Vienne signe une pièce tout à fait novatrice, radicale, faite de lenteur, d’épaisseur et de sursauts, qui fera date dans le paysage artistique contemporain.

Un terrain vague, fait de terre battue, de cannettes, d’emballages et de mégots. Un plateau terreux qui n’est pas sans rappeler la pièce mythique du Sacre du Printemps dans la version de Pina Bausch. Un terrain de jeu en somme choisit comme lieu de rituel. Célébration aussi joyeuse que chaotique, qui marque le début grandiose d’une bacchanale contemporaine. Quinze jeunes danseurs, reflet d’une génération sacrifiée, se retrouvent, se rencontrent sur cet espace vide et mythique pour danser et faire la fête, dévoiler une expérience collective païenne mais ô combien spirituelle. Un lieu-dit comme dispositif dionysiaque et carnavalesque, où toutes nos pulsions les plus sombres peuvent fleurirent sans lois ni entraves. Sans que rien ne nous soit dit, et sans tomber dans la narration, tout pourtant nous est raconté et fait sens. Les rapports proxémiques des corps entre eux, leur posture, leur positionnement dans l’espace, la circulation des regards, génèrent une puissance de narrativité que le spectateur s’efforce délicieusement de sémiotiser comme de mystérieux symboles chargés de sens et de subtilité. Ces rapports nous parlent de la violence empreinte de cette génération, solidaire ou collective, de joie et de sexualité perverses, d’un groupe comme autant de solitudes plurielles. La puissance de ces schémas scéniques, aussi simples que complexes, à faire sens et à construire un appareillage symbolique très riche pour le spectateur s’avère tout à fait troublante.

Ce que l’on trouve dans la grammaire chorégraphique de Gisèle Vienne, c’est une déclinaison très poussée sur la lenteur. L’artiste, maître en la matière, vient littéralement tordre le temps, le diffracter, pour nous en faire voire toute l’épaisseur et les détails les plus précis qu’elle contient dans le mouvement. Le ralentit, matière première de ce spectacle, à l’audace ici de prendre son temps pour dire les choses sur une musique techno inépuisable. Le mouvement, étrangement proche des logiques de montage cinématographique, est pourtant fait de variations, de sursauts, de suspensions, de pauses, d’accents ou encore de saccades à la manière des « gifts » virtuels. Le ralentit nous donne le temps de contempler, de zoomer, et de détailler les relations intra-communautaires qui, prisent dans l’air du temps, demeurent trop furtives pour que l’on s’y attarde scientifiquement. On y introduit ici un vocabulaire gestuel de clubbing, souvent théâtralisé par les expressions prenantes des interprètes – qui se révèlent très justes et constants dans leur monologue intérieur remarquable et très travaillé – ou encore celui du voguing, du waacking ou du hip-hop. Autant de danses contemporaines qu’il est fascinant de voire se distordre dans le prisme de la lenteur et d’une situation qui n’a rien de démonstrative ou de spectaculaire.

Crowd est pour ainsi dire une des propositions la plus alarmante et la plus puissante de la saison. Le temps de redescendre de ce spectacle est à la hauteur de la pièce et de la lenteur qu’elle nous propose et qui altère notre perception du monde.

 

Crowd

Conception, chorégraphie et scénographie  Gisèle Vienne

Assistantes mise en scène  Anja Röttgerkamp et Nuria Guiu Sagarra
Mixage, montage et sélection musique  Peter Rehberg
Conception de la diffusion du son  Stephen O’Malley
Ingénieur du son  Adrien Michel
Lumières  Patrick Riou
Dramaturgie  Gisèle Vienne et Denis Cooper

Avec Philip Berlin, Marine Chesnais, Kerstin Daley-Baradel, Sylvain Decloitre, Sophie Demeyer, Vincent Dupuy, Massimo Fusco, Rémi Hollant, Oskar Landström, Théo Livesey, Louise Perming, Katia Petrowick, Jonathan Schatz, Henrietta Wallberg et Tyra Wigg

Du 7 au 16 décembre 2017
Mardi à vendredi à 20h30
Samedi 9 décembre à 18h
Dimanche 10 décembre à 15h30
Jeudi 14 décembre à 19h30
Vendredi 15 et samedi 16 décembre à 21h

Théâtre Nanterre-Amandiers
7 avenue Pablo-Picasso
92050 Nanterre

– RER A : Arrêt Nanterre-Préfecture
– Bus 160 : Arrêt Joliot Curie Courbevoie
– Bus 259 : Arrêt Théâtre des Amandiers
– Bus 159 : Arrêt Théâtre des Amandiers

Réservation au + 01 46 14 70 00

http://www.nanterre-amandiers.com/
https://www.festival-automne.com

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