Critique de Djalila Dechache
Il est devenu habituel de monter un spectacle sur un écrivain ou un artiste à partir de son parcours professionnel et personnel.
C’est le cas du spectacle joué au Théâtre du Lucernaire « Ma Sagan », une approche particulière en référence à la grande Françoise.
On est tout de suite surpris de voir arriver sur scène une jolie jeune comédienne Prune Litchlé, qui n’a rien à voir avec Françoise Sagan,( 1935-2004 ) ni de près ni de loin. Pas plus de portrait ou d’élément évoquant immédiatement l’écrivain dans la scénographie sans style ni âme. Le pari d’incarner au théâtre Sagan était sans doute difficile après le film. Avec le « Ma » accolé à son patronyme, c’est une proposition plus personnelle qui donne l’impression par moments de juxtaposition de bonnes phrases cherchant l’adhésion du public par le rire.
Passés quelques instants son image nous vient, sa mélancolie apparente avec son air grave,on se surprend à entendre Françoise Sagan, à l’entendre vraiment comme on ne l’a jamais entendue ni à la télé ni lue dans les magazines.
Les médias de son époque se sont placés sur le côté spectaculaire de cette femme brillante qui brûlait sa vie, s’appuyant sur des journalistes à la voix nasillarde dont les commentaires résonnent comme une sentence et sur fond de musique anachronique de valse d’ascenseur dès qu’il s’agit de montrer Paris.
On en prend plein le cœur sur cette femme qui avait tout compris de la vie, de l’amour, de la solitude, du bonheur et j’en passe. Tout nous revient, sa voix basse, rapide et quelquefois incompréhensible, son rouge à lèvres, sa mèche blonde d’adolescente qui lui couvrait les yeux, sa posture droite et impassible, sa cigarette nonchalante, son élégance naturelle.….….
Françoise Sagan est une femme spirituelle, généreuse, follement intelligente, pleine de gaieté et éprise de la vie. Mais on s’est bien gardé de nous le dire à nous autres et tant qu’elle était là, avec ce fol espoir qu’on aurait aimé, qu’on aurait pu la rencontrer pour de bon. Le seul exemple digne d’intérêt, à ma connaissance, est l’interview réalisée par le très regretté Pierre Desproges à qui elle répond avec beaucoup de tendresse.
A la faveur de deux « tendres » recueils d’interviews « Réponses », « Répliques » ainsi que quelques extraits de « Et toute ma sympathie » trois textes en marge de son oeuvre de Sagan, Denis Westhoff son fils, a imaginé un ensemble afin de donner un peu du « charme du personnage vrai et attachant » que fut sa mère.
L’argent, l’alcool, l’amour, la nuit, le jeu, la vitesse………
Attirée par les excès intellectuels, physiques, « les accélérateurs de vie » dit –elle, et en un mot « par tout ce qui n’est pas rassurant », comme ces six là consommés ensemble sont de l’explosif, sont également du partage au même titre que la nourriture, et qu’ils vont bien ensemble en trouvant refuge chez cette femme si singulière qui se fichait du « qu’en dira-t-on » très puissant à son époque et lié à sa famille.
Si l’argent, ajouté à la liberté de disposer de temps et d’espace, est l’une des clés du bonheur, Sagan dit qu’elle en a gagné sans compter et « j’ai compté trop tard ; on rencontre toujours des gens qui en ont besoin».On pourrait ajouter et qui en profitent. Tel Arthur Adamov, le premier d’une longue liste qui la taxera en lui lançant un mot royal : « Je ne vous rembourserai jamais mais je ne vous en voudrai pas ».Quelle imposture!
« Incapable de juger quelqu’un » (c’est si rare !) elle aimait les gens en général sauf si « les gens sont minables, elle les oublie sur le champ » et « attend de ses amis qu’ils soient gais ».C’est ainsi qu’elle se construisait une famille avec « le désir de partage » au centre de la relation.
« L’amour est le seul système pour échapper à cette solitude » et « La vitesse décoiffe les chagrins » sont définis comme l’antidote contre la tristesse et l’immobilisme.
Non seulement elle a le sens de la formule mais elle est sensible aux dates et aux chiffres tel le jour où elle achète la maison de Normandie un 8 août après un gain de 8 millions à la roulette, une maison qui vaut 8 milliards de souvenirs dit-elle.
Ou encore son sens de l’amitié et sa rencontre avec Sartre, nés tous deux un 21 juin à 30 ans d’intervalle avec qui, la dernière année de la vie du philosophe, elle dînait deux fois par mois, fidèle et attentive, ajoutant qu’ « on s’est toujours parlés comme si on était sur un quai de gare ».
Sur le bonheur sur lequel elle a exploré les contours et même plus, Sagan souligne que « on apprend plus quand on est heureux, faire croire que les épreuves nourrissent, quelle bonne blague ! ».
Sa course est là dans cette quête du bonheur pour elle et pour les autres, à courir après le temps, c’est pour cela qu’elle écrivait plus volontiers la nuit et à la campagne. L’écriture c’est « physiquement pénible, c’est un travail de bûcheron, d’artisan ».Elle livrait donc au public, à nous, un texte poli tel une pierre précieuse à force de travail, de veilles et d’imagination si chère à Françoise Sagan, dont l’écriture semble aller de soi tranquillement, sans effort.
« Je suis un accident qui dure …..»
Vérité qui claque ou métaphore mélancolique, qu’importe, cela nous touche et nous emporte comme la mer, comme la pluie, comme la nature que Françoise affectionnait tant.On ne se lasse pas d’entendre ses aphorismes, ses pensées intimes.
« Mon image, ma légende, il n’y a rien de faux là-dedans….».
« Je regrette de ne pas avoir eu une vie plus lente, plus harmonieuse, plus poétique »
Comment ne pas ressentir la même chose, de là où l’on est, en tous points pareils que la grande Françoise. C’est bien là notre condition d’être humain, pendant que l’on est à un endroit on ne peut être ailleurs le temps si court d’une vie. Il y aura toujours quelque chose à regretter.
« Ce que je trouve infect c’est de mourir un jour, on vous fait plein de cadeaux –le soleil, la vie, un enfant- et on vous les prend, je disparaîtrai comme les rivières dans les fleuves ».
On l’aura compris, sans ce spectacle et sans le travail de Denis Westhoff et la sortie de son livre « Sagan et Fils », on serait passé à côté de quelqu’un d’exceptionnel, femme et auteur, en se cantonnant à quelques unes de ses frasques publiques et à son fameux « Bonjour Tristesse ».
Et surtout, se méfier sans relâche des apparences que les médias véhiculent.
Ma Sagan
Avec Prune Lichtlé
Mise en scène et scénographie : Michel Albertini
Lumières : André Diot
Avec la collaboration artistique de Denis Westhoffdurée : 1h
du 19 septembre au 10 novembre 2012
du mardi au samedi 18h30Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre Dame Des-Champs
75006 Paris
Réservations : 01 42 22 26 50
métro: Notre Dame des Champs, Vavin, Raspail
www.lucernaire.fr
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