ƒƒ critique de Denis Sanglard
De nouveau Bartabas délaisse Aubervilliers.
Après Le Centaure et l’animal, rencontre entre l’art équestre et le butô, une confrontation réussie avec Kô Morobushi, c’est au flamenco auquel il se confronte. Andrés Marin est l’invité de cette cérémonie, cette messe poétique et sombre. Ils sont d’étranges pénitents cerclés de fraise qui officient ensemble. Rien ne manque, ni l’encens, ni les cloches, ni la croix. Mais point de Dieu en ce lieu. Juste un bouffon. C’est aussi austère qu’un tableau de Zurbaran, avec la même mélancolie et gravité et pour unique relique un crâne de cheval. C’est aussi sombre qu’un Caravage éclairé de quelques cierges. L’homme et le cheval épousent le même rythme cérémoniel. Le flamenco dégraissé de tout folklore d’Andrés Marin, torse nu, déchire l’air dans le silence. C’est les pieds nus qu’il martèle le sable noir. Gestes amples ou minimalistes, ce que l’on perçoit soudain avec fulgurance dans cette épure extrême, ce silence à peine froissé par le crissement du sable, c’est le rythme qui se déploie, traverse ce corps en tension, fend l’espace. Une énergie contenue qui se joue de la tension et du relâchement qu’elle exerce. Une pulsation interne qui est rythme. Pulsation projetée, éjaculée soudain. Et c’est foudroyant. Cette décomposition attentive du rythme et du mouvement, cette respiration qui fait la danse, c’est exactement ce que Bartabas magnifie avec ses chevaux. En somme ce n’est pas tant le flamenco comme référent culturel qui intéresse Bartabas, même si sa mise en scène est empreinte du mysticisme espagnol réduit à sa plus simple expression et donne à l’ensemble son unité anecdotique, mais comme élément rythmique singulier. Les chevaux qui traversent le plateau ont la même énergie rentrée, ce que déjà dans Le Centaure et l’animal nous percevions étonnés. Ils ne font rien d’extraordinaire, pas plus que Andrés Marin. Rien de spectaculaire non plus, mais un art de la présence brute et butée, amplifié par ce dépouillement volontaire, ce refus de tout folklore. Ce qui est mis en avant c’est le corps et sa capacité à habiter l’espace de sa seule présence. Corps de l’équidé ou de l’homme, il y a peu de différence dans la monstration de ce qui offert de façon abrupte et crûe dans l’écrin de cette cérémonie, cette crucifixion d‘un roi saboté et pénitent. Question de souffle. De vibration. De peau aussi. Cette peau que l’on frappe et qui résonne. Le flagellant est un musicien qui bat tambour et marche au rythme donné de ses mains qui claquent sur son dos et ses cuisses. Comme il répond, chante et marche au rythme de l’animal aux sabots clochetés. Comme résonnent les chaussures ferrées telles des sabots et qui martèlent le sol. Ou la crécelle d’un bouffon au pied de la croix. Comme s’élèvent les motets pour voix seules de Tomas Luis de Victoria, chantés par le contre-ténor Christophe Baska et qui ouvrent et ferment chaque séquence… Cette étrange cérémonie baroque, cette messe des fous, n’est que résonnance et n’appelle que le silence pour mieux révéler, comme un mystère, la danse, soit une question de corps, de rythme, de souffle et d’espace.
Golgota
Un spectacle de Bartabas
Chorégraphié et interprété avec Andrés Marin
Musique Motets pour voix seules de Tomas Luis de Victoria
Chant (contre-ténor) Christophe Baska
Cornet Adrien Mabire
Luth Marc Wolff
Costumes Sophie Manach, Yannick Laisné
Accessoires Sébastien Puech
Lumière Laurent Matignon
Son Frédéric Prin
Régie Lumière Gilles Thomain
Régie Générale Mickaël Roth
Assistante à la mise en scène Anne Perron
Soins des chevaux Clémence Plesse, Sophie Guéritée, Clara Chevalier
Jeu Pierre Estorge
Avec les chevaux Horizonte, Le Tintoret, Soutine, Zurbaran et l’âne Lautrec
Du 14 avril au 11 mai 2014, 20h30
Dimanche 15h
Relâche les jeudis et les 20, 21 et 28 avril et le 5 mai
Théâtre du Rond-Point
Salle Renaud Barrault
2bis av. Franklin D. Roosevelt – 75008 Paris
Réservations 01 44 95 98 21
comment closed