Critique de Bruno Deslot
Cinq voix pour toutes…
Né d’un désir de parler des femmes, Modèles procède d’un travail sur la mémoire, le document, la photo, la musique et certainement d’autres sources pour se livrer à une écriture collective du spectacle. Sept femmes, cinq actrices, la dramaturge et la metteuse en scène, orchestre une proposition colorée, énergique et puissante sur la place des femmes dans la société et de tous les stéréotypes qui les caractérisent.
Face au public, elles avancent, conquérantes mais avec une certaine pudeur pour se livrer, confesser leurs plus intimes secrets, leur part des anges, constitutive d’elles-mêmes. Petites filles, elles l’ont été dans les années 80, femmes elles le sont aujourd’hui avec toute la complexité d’endosser ce rôle au quotidien. L’une, en tutu bleu ciel se souvient avoir fait beaucoup de danse, adorer imiter le cri de Tarzan et être très polie. Une autre n’aimait que les jeux de garçons et affirme haut et fort qu’elle est Albator. Une autre jeune femme, évoque une enfance sans encombres… une cour de récréation redoutable, un père absent, un sentiment d’abandon malgré tout. Les souvenirs s’enchaînent sans chercher à se faire écho, mais respectent les classes d’âge dans la manière d’organiser l’énonciation. Montrant leur culotte souillée, c’est le temps des règles et du passage à l’adolescence. Rien n’est cru ni cruel, tout est dit sans détour, la parole est libre et livrée selon une certaine simplicité qui ne cherche pas à recourir à la figure de style. Le discours est rythmé par des interventions musicales façon Cat Power, interprétées par Vincent Hulot. Situé en fond de scène et placé en hauteur sur un panneau à deux entrées latérales, un studio d’enregistrement radiophonique accueille Bourdieu évoquant la place de la femme dans la société, Duras abordant l’importance de l’intérieur pour mieux y retenir ceux qui nous entoure et Despentes parlant de son viol, de la notion de dépossession de soi après cet acte barbare. Les cinq comédiennes ponctuent ces interventions par des confessions sur leurs premiers rapports sexuels, leur relation à l’être aimé, leur sexe… Chaque confession est une manière habile de rappeler l’évolution de la place de la femme dans la société. Le feed-back s’impose et l’on tombe de haut dès lors qu’il s’agit de faire le bilan !
Une scénographie minimaliste pour aborder un vaste sujet. Depuis la création du spectacle au CDN de Montreuil en janvier 2011, les mannequins en cire au corps découpés, les ellipses stéréotypées faisant référence à une féminité dérobée ont disparu ! Seul un panneau noir, placé en fond de scène, avec une entrée de part et d’autre et un studio d’enregistrement radiophonique situé en hauteur à cour occupe le plateau. Vincent Hulot est retenu à cour avec ses instruments au son métallique et un escalier à jardin permet à la jeune et talentueuse Marie Nicolle de gratter quelques accords sur sa guitare. Un écran au centre du panneau noir permet de projeter le visage androgyne d’une femme chuchotant des propos sur le genre. On sent l’étonnante et remarquable influence de Nan Goldin qui cerne les milieux interlopes avec toujours plus de finesse.
Oscillant entre grand moment de tension et de relâchement, tous ces mots s’enchaînent au rythme d’une respiration et de ce qu’elle impose au corps de ces femmes portant les stigmates de la vie ! Le triple avortement de l’une, « le stress ménager » de l’autre avant son premier rendez-vous amoureux, « la vie de merde » de cette femme émancipée !
L’ensemble de la proposition interroge le passé pour mieux éclairer le présent sans prétendre apporter de réponses à la Grande Question de l’égalité homme/femme ! Ce n’est pas l’objectif du spectacle qui suscite la réflexion, encourage la prise de position et permet de prendre conscience que le chemin à parcourir est encore long !
Modèles
Mise en scène Pauline Bureau
Ecriture collective Sabrina Baldassarra, Pauline Bureau, Benoîte Bureau, Laure Calamy, Sonia Floire, Gaëlle Hausermann, Sophie Neveux, Marie Nicolle, Alice Touvet
Avec des fragments de textes de Pierre Bourdieu, Marie Darrieussecq, Virginie Despentes, Marguerite Duras, Catherine Millet, Virginia Woolf
Avec Sabrina Baldassarra, Laure Calamy, Sonia Floire, Gaëlle Hausermann, Marie Nicolle
Musique Vincent Hulot
Jusqu’au 10 novembre 2012
Théâtre du Rond-Point
2 bis avenue Franklin D.Roosevelt
75008 Paris
Réservations : 01 44 95 98 21
www.theatredurondpoint.fr