Critiques // Critique • « Suzanne, une femme remarquable » de et avec Laurence Février au Lucernaire

Critique • « Suzanne, une femme remarquable » de et avec Laurence Février au Lucernaire

Juin 07, 2014 | Commentaires fermés sur Critique • « Suzanne, une femme remarquable » de et avec Laurence Février au Lucernaire

ƒƒ critique d’Anna Grahm

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Le droit est un instrument de transformation sociale

Suzanne n’est pas un personnage de papier, mais une femme engagée politiquement, qui a vécu plusieurs vies. Plus jeune, elle a fait partie du réseau Jeanson, a milité au sein du parti communiste dans lequel elle a trouvé un « partage de la quotidienneté » sans équivalent, où, nous dit-elle, « il y avait l’espoir qui aide à ne pas se décourager ». Juriste de formation,puis agrégée de droit public, elle sera élue présidente de l’Université Paris 8 avant d’entrer au ministère de l’Éducation National. Elle est aussi très impliquée dans la cause féministe et écrira de nombreux rapports sur la place des femmes.
Laurence Février a recueilli la parole de cette femme debout et l’empoigne avec une simplicité et une force saisissante. Elle nous la livre telle qu’elle l’a reçue, face à face, sans pathos, sans langue de bois, elle nous la transmet avec ces raccourcis et ces détours, se fond dans sa liberté de ton avec un plaisir évident, et bute comme elle sur ce qui est et se répète. Voilà donc une femme qui se met dans la peau d’une autre et déroule au gré de son parcours, ses multiples interrogations, se demande notamment quelle est la fonction du droit. Est-ce de gérer les affaires en cours ou un élément de transformation sociale ?Et ses mains font tout autre chose que ce qui se dit. Plient, déplient et replient des morceaux de tissu. Comme si ses mains lissaient l’empilement des journées, nous racontaient ce qu’il faut de compétences et d’exigences pour mener de front les oppositions concret/abstrait, agir/subir. Et tandis que les mains s’appliquent à la répétition des tâches, les pensées de Suzanne reprennent, retournent et rebondissent sur les monceaux de combats à venir.
Elle nous parle de la présence absente d’une parité qui n’émerge qu’en filigrane lors des élections, elle nous rappelle que la parité a commencé à émerger en mai 68, et qu’on peut attendre, et qu’en attendant les décideurs sont toujours des hommes, et que celles qui ont réussi à passer le plafond de verre font comme si elles étaient des hommes. Elle pointe le pourquoi des règles, répète qu’il faut travailler à une vision critique du droit. Regrette que les étudiants soient dans l’apprentissage des règles et pas dans la transgression, s’insurge de la violence symbolique d’aujourd’hui, du trop plein d’interdits. Nous explique que les femmes anti parité ne veulent pas être reconnues en tant que femmes mais en tant qu’être humain (!), que la société s’identifie toujours au masculin, qu’il faudrait peut-être instaurer une 6ème république pour régler cette crise de l’image.Sa pensée galope, éclairante, intelligente. Son parler-penser nous fait réfléchir. On se souvient du vote rejet du 11 mars 2014 d’un texte sur l’égalité hommes femmes, au parlement européen. Vote désinvolte, honteux. On pense à la marche arrière de la situation des femmes, notamment en Espagne. Aberrations. Défiance. On pense aux rires sous cape de la « bataille des dames », à la petite place suffisamment grande qu’on nous accorde, on pense à tous ces argumentaires que l’on développe pour évacuer la sous représentation des femmes. Francine Demichel dite Suzanne par son débit impressionnant, bouscule, féconde d’autres façons d’envisager le rapport hommes femmes. Mais au fait,de quoi a-t-on peur exactement ? Est-ce que notre sexe risque d’émasculer le leur ? Allons mesdames, soyez un peu humbles, et sachez que votre invisibilité est partout visible sur les murs, dans les magazines, sachez qu’on vous contemple, sachez vous en contenter. Mais si, comme Suzanne, vous désirez l’égalité, si vous estimez, comme elle, que « ceux qui ne savent pas dire non sont morts », alors dites non, vivez, luttez, alors, comme elle, regardez vers demain, débattez aujourd’hui, battez-vous pour obtenir une loi. Car en droit, ce qui est voté devient obligatoire.

Suzanne, une femme remarquable
De et avec Laurence Février
Lumières Jean-Yves Courcoux
Scénographie Brigitte Dujardin, Camille Lebourges

Au théâtre du Lucernaire
53, rue Notre-Dame-des-Champs – 75006 Paris
du 4 juin au 5 juillet 2014
du mardi au samedi à 20h
le dimanche à 15 h

réservations 01 45 44 57 34
www.lucernaire.fr

 

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