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Critique • « Perdues dans Stockholm » de Pierre Notte au Théâtre du Rond-Point

Juin 10, 2014 | Commentaires fermés sur Critique • « Perdues dans Stockholm » de Pierre Notte au Théâtre du Rond-Point

critique Suzanne Teïbi

redim_proportionnel_photo.php© Patrice Leterrier

Les trois grâces

Sur le plateau, les fenêtres de la salle Roland Topor sont ouvertes. Il fait encore jour – arrivée de l’été oblige – et l’on entend les bruits de la ville. Pour décor, un plateau dépouillé, habité par quelques mobiles de bois qui deviendront tour à tour mobilier, siège, bateau : un univers évolutif, ludique, fourre-tout, à l’image de ce qui se joue dans le texte de Pierre Notte.

Puis il y a l’arrivée d’un jeune homme agile, au corps nerveux, aux déplacements qui rappellent les dessins animés. Il se transforme devant nos yeux. En quelques minutes, un peu de maquillage, un serre-tête et une robe, c’est troublant, il a vraiment l’air d’une femme. Lui – ou elle, mais pas encore tout à fait – c’est Lulu. Justement, il a besoin d’argent pour faire l’opération qui lui permettra de se faire appeler elle. C’est du moins comme ça qu’il le voit pour le moment. Son corps doit changer. Mais de l’argent, il n’en a pas encore. Il vit avec sa tante, dans un mobil home témoin perdu sur les hauteurs d’une colline en Normandie. Et une idée lui a traversé l’esprit, le matin même, dans les rayons du Monoprix. Il a vu une femme qu’il a prise pour une star, et il l’a kidnappée, comme ça, sur le champ, pour demander la rançon qui lui permettra de devenir une femme. C’est du moins comme ça qu’il le voit pour le moment. Le voilà donc qui traîne maintenant sur le plateau le corps saucissonné d’une comédienne ratée. Sans scrupule, mais jamais malveillant, Lulu est bien décidé à demander de l’argent – pas beaucoup, juste assez pour faire son opération – contre celle qu’il a malencontreusement prise pour la célèbre invitée d’honneur d’un non moins célèbre festival de cinéma qui se déroule en ce moment juste à côté du mobil home.

C’est alors qu’arrive la tante de Lulu, qui est elle aussi un personnage haut en couleurs. Elle vient de se faire plumer au casino, et chez elle, c’est une habitude. Depuis des années, elle joue, elle perd, elle rejoue et reperd, mais jamais ne baisse les bras, car elle tient plus que tout à son rêve : ouvrir une école de geishas.

Au petit matin, dans ce mobil home témoin, ces femmes réunissent à elles trois tous les éléments dramaturgiques d’une comédie franchement assumée. Lulu, avec la complicité de sa tante et de la comédienne elle-même, va faire tentative sur tentative pour se procurer la rançon. Mais voilà, ce n’est pas gagné, car même si elles ne manquent pas de ressources, ces trois femmes n’en restent pas moins de vraies branquignoles. Et puis, qui voudrait donner une rançon pour une illustre inconnue ?

Cette quête commune – qui va les emmener loin, très loin, ou peut-être plus près – va immanquablement les rapprocher, les unir intimement, cristalliser leur statut de personnage décalé et marginal.

Ici, les déplacements dans l’espace sont ingénieux, et se prêtent formidablement à l’univers de bric et de broc qui est mis en place. Lulu va partout, derrière le public, au lointain, sort par une porte à cour, on la devine longeant derrière, et réapparaît par l’autre porte à jardin.

Les trois femmes ponctuent leurs aventures par des chansons réalistes à l’humour potache sur fond de chorégraphies iconoclastes. Si les jeux de mots de Perdues dans Stockholm cèdent souvent à la facilité, c’est qu’ils semblent répondre à un certain genre de comédie. La farce est pleinement assumée, voire revendiquée, les mécanismes déployés pour l’humour sont prévisibles et embarquent le public qui est venu pour ça, mais peuvent laisser de côté ceux qui demandent plus de subtilité ou plus de créativité dans l’humour iconoclaste.

Perdues dans Stockholm
Texte et mise en scène : Pierre Notte
Assistanat à la mise en scène : Claire Fretel
Scénographie : Yaël Haber
Costumes : Colombe Lauriot Prévost
Arrangements des musiques et sons : Paul-Marie Barbier
Lumières : Nicolas Priouzeau

Avec Juliette Coulon, Brice Hillaire, Silvie Laguna

Du 3 au 29 juin 2014 à 20h30
dimanche à 15h30, relâche les lundis et le 8 juin

Théâtre du Rond-Point
2 bis avenue Franklin Roosevelt 75008 Paris
Métro Franklin Roosevelt
Réservations :01 44 95 98 21
www.theatredurondpoint.fr

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