Critique ƒƒ de Denis Sanglard
Macbeth où la tragédie du pouvoir selon Ariane Mnouchkine. Plus exactement « Une tragédie comme elle est actuellement jouée au Théâtre du Soleil ». C’est bien cela, une lecture singulière, où le pouvoir, la folie, les deux liés ensemble comme allant de soi, sont les figures d’un même mal qui rongent les hommes et le siècle. Le pouvoir est folie, la folie est pouvoir. Ariane Mnouchkine signe une fresque contemporaine, sombre, froide, cauchemardesque. Laides sont les âmes et blafardes les couleurs. Pâles les lumières, nuits et brouillards envahissent le plateau. Le couple Macbeth, figure de toutes les dictatures, dévale à grande vitesse une pente fatale où le crime signe dans le sang l’arbitraire d’un règne usurpé, la dérive autocratique d’un couple. Un règne de terreur sous les feux des projecteurs. Pas une scène qui ne soit, au début, sous le regard des caméras. Car la politique, le politique, use de l’image. Nos dictateurs sont désormais des peoples comme les autres. « Ici, on peut voir un tyran ». Mais au Théâtre du Soleil, point de démonstration. Ariane Mnouchkine désosse habilement une carcasse et met à nu une mécanique qui s’emballe. Il y a quelque chose de brut, de faits donnés sans jugement apparent et c’est toute la modernité de Shakespeare, toute l’inquiétude, l’interrogation d’Ariane Mnouchkine sur ce siècle ébranlé où la démocratie malade s’effondre. Le constat d’une impuissance. L’impression étrange et têtue que Macbeth commence là ou se terminait « les Naufragés du fol espoir », la création précédente.
Il est vrai que l’impression donnée est celle d’un élan qui finit hélas par se fracasser… La mise en scène porte les stigmates de cette inquiétude. C’est plein de trous d’air malgré des scènes époustouflantes, des images incroyables et fortes, drôles même. Un ordinateur portable pour chaudron. Une scène de banquet glaçante, remarquable – sans doute la plus forte de l’ensemble. Une serre où des pétales de rose en pluie annoncent un ruisseau de sang. La folie de Lady Macbeth, crépusculaire. Les scènes d’ensemble comme toujours ont ce souffle dramatique, épique, unique où la troupe est à son meilleur. Mais la jeunesse des comédiens, malgré leur engagement total, empêche parfois l’adhésion entière dans les scènes ou le groupe s’efface. Certaines scènes sont soudain des gouffres dont on peine à sortir et qui déséquilibrent quelque peu l’ensemble. Les multiples changements de décors, qui dénoncent comme toujours la théâtralité – véritable machine de guerre – pèsent au fur et à mesure malgré leur rapidité et leur efficacité. C’est surtout dans la seconde partie que cette fragilité dans la mise en scène apparaît, quelque chose se délite, accuse non une faiblesse mais un infléchissement. Macbeth est une pièce superbe mais parfois boiteuse que la mise en scène, dans cette seconde partie toujours, ne parvient pas à équilibrer. Le dessin est là pourtant mais reste à l’état d’esquisse. Sans doute il manque encore un peu de maturation. Et l’on sort un peu déçu de ne pas avoir retrouvé la magie propre au théâtre du Soleil comme un rendez-vous dont on attendait sans doute trop. Mais ce n’est au final que broutilles au vu de l’ensemble qui encore une fois vous saute à la figure de par cette vision aigüe de notre époque, de son délitement. Broutille donc devant tant de générosité offerte, de passion intacte mais aujourd’hui plus inquiète encore et fébrile qui sur le plateau s’exprime. Serge Nicolaï est un Macbeth au corps désarticulé par la folie qui le ronge. Un corps qui finit par disparaître, englouti dans son bunker et dont on ne voit plus que le rictus de sa face démente. Métaphore certes de sa folie mais vision juste d’une fin programmée qui n’est pas sans rappeler la fin de nombre de tyrans morts en leur tanière… Nirupama Nityanandan, Lady Macbeth, apporte à ce rôle non pas une folie démesurée, une monstruosité théâtrale, mais au contraire une inquiétante banalité. La froide raison, le calcul politique, l’envers de Macbeth. La scène de folie qui la voit s’effondrer accuse alors seulement la fragilité de ce personnage rongé, pourri de l’intérieur. L’envers et l’endroit donc d’une même face exprimant l’ambition démesurée.
Macbeth
Une tragédie de William Shakespeare
comme elle est jouée au théâtre du Soleil
traduite et dirigée par Ariane Mnouchkine
musique de Jean-Jacques Lemêtre
Jusqu’au 13 juillet et à partir du 8 octobre 2014
Mercredi, jeudi, vendredi à 19h30
Samedi à 13h30 et 19h30
Dimanche à 13h30
Théâtre du Soleil
Cartoucherie de Vincennes
Route du champ de manœuvre – 75012 Paris
réservations 01 43 74 24 08
www.theatre-du-soleil.fr
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