Critiques // Critique • Les Revenants d’après Ibsen et par Ostermeier aux Amandiers

Critique • Les Revenants d’après Ibsen et par Ostermeier aux Amandiers

Avr 15, 2013 | Aucun commentaire sur Critique • Les Revenants d’après Ibsen et par Ostermeier aux Amandiers

ƒƒƒ Critique Dominika Waszkiewicz

 Les-Revenants© Mario Del Curto

Affrontement familial sur fond de syphilis et d’inceste
Œuvre fortement décriée et largement censurée sur nos scènes européennes de la fin du XIXème siècle, Les Revenants questionne l’hérédité, entre secrets nécessaires et révélations insoutenables.
Dix ans après la mort de son père le sénateur Alving, Osvald rentre de Berlin. Fatigué et profondément diminué, le jeune réalisateur (dans l’adaptation proposée par Olivier Cadiot et Thomas Ostermeier) vient se réfugier dans le giron de sa mère. En présence du Pasteur Manders et de l’adorable Régine, Hélène Alving brosse le portrait peu complaisant de son défunt mari. Infidèle, volage et amateur de beuveries, Alving a laissé des traces derrière lui, les séquelles de ses excès, transposées dans la génération suivante : Osvald et Régine. Brouillard hanté, les ombres du passé s’infiltrent dans le domaine, contaminant peu à peu les Vivants.

Un labyrinthe de situations
En silence et hagards, comme somnambules, les comédiens entrent et nous lancent un regard vide et froid. Autour d’une longue table surmontée d’une lampe de bureau, ils sortent des objets. Des lunettes, une pipe, un passeport. Autant d’objets perdus ou retrouvés. Souvenirs des absents ?
Simultanément, leurs visages filmés en gros-plan sont projetés, graves, sur un panneau derrière eux. Puis le plateau tourne et emporte les images. La lumière devient crue et blanche, mettant tout à nu : l’espace encadré par un rectangle anthracite et emprisonnant les personnages, taches de couleurs des silhouettes, petits papillons pris au piège.
Une tension s’empare vite de la salle, une conscience de chaque instant portant en elle l’inquiétante étrangeté de la situation. Les personnages se cherchent, s’écoutent et s’épient dans ce lieu mouvant dont les murs semblent avoir des oreilles. Les projections de leurs propres faces livides s’observent elles-mêmes, figures fantomatiques aux yeux agrandis d’étonnement. Le plateau devient un laboratoire où d’insaisissables expérimentations relationnelles ont lieu. Que doit-on dire ? Que peut-on dire ? Qui est innocent ? Qui est coupable ? Le piège se referme et le malaise s’accentue au sein de cette spirale vertigineuse. L’escalier disproportionné de Léon Spilliaert est remplacé par une plaine maudite battue par le vent et la pluie, dans un crépuscule peuplé d’oiseaux projetés au milieu des joncs, sur les parois grises. C’est un gouffre qui s’ouvre sous le vernis de la bonne société bourgeoise et patriarcale.

 « Qui prendra mon angoisse ? », le combat de la vie et la mort
L’oppression de la scénographie, signée Jan Pappelbaum et agrémentée des vidéos de Sébastien Dupouey, permet une concentration sur les personnages en lutte. En lutte contre quoi ? Contre Dieu comme Jacob, le menuisier Engstrand bien nommé et père présumé de Régine ? Contre la mort comme Osvald qui attend de Régine, nouvelle Sonia rédemptrice, qu’elle lui redonne vie ? Contre l’ennui comme Hélène qui cherche le bonheur dans la présence de son fils ? « Le bonheur ? De quel droit ? » La seule échappatoire possible est la fuite, prendre le bac et quitter cette rive où il y a « autant de Revenants que de sable au bord de la mer ».
La pièce, ornée par le jeu remarquable et précis des comédiens, se déroule avec la précision rythmique d’une composition musicale où rien n’est laissé au hasard. Valérie Dréville (Hélène Arving) y est particulièrement étonnante : mi-morte, mi-vivante, elle parvient à nous faire parvenir, caverneuse, profonde et grave, une seconde voix comme échappée de profundis. À la fois fantôme et mère, la comédienne maîtrise parfaitement le dédoublement inquiétant de son personnage jusqu’à la sublime pietà finale, impossible retour intra-utérin d’Osvald.
Une création complexe et passionnante qui rappelle que le théâtre peut être l’outil des questionnements les plus sibyllins.

Les Revenants
D’après Henrik Ibsen
Mise en scène : Thomas Ostermeier
Traduction et adaptation par Olivier Cadiot et Thomas Ostermeier
Scénographie : Jan Pappelbaum assisté de Sinira Raebsamen
Dramaturgie : Gianni Schneider
Vidéo de scène: Sébastien Dupouey
Lumières : Marie-Christine Soma
Costumes : Nina Wetzel assistée de Marie Abel
Musique : Nils Ostendorf
Assistante à la mise en scène : Elisa Leroy
Stagiaire à la mise en scène : Ronja Römer
Avec : Eric Caravaca, Valérie Dréville, Jean-Pierre Gos, François Loriquet, Mélodie Richard

Jusqu’ au 27 avril 2013

Tous les jours à 20h sauf le dimanche à 16h et le jeudi à 19h30 – Relâche le lundi
Durée : 1h40

Théâtre des Amandiers
7 av. Pablo-Picasso
92022 Nanterre Cedex

Tél : 01.46.14.70.00
www.nanterre-amandiers.com

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