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« Coup fatal », KVS / les ballets C de la B, au théâtre de Chaillot

Déc 06, 2015 | Commentaires fermés sur « Coup fatal », KVS / les ballets C de la B, au théâtre de Chaillot

ƒƒ article de Florent Mirandole

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© Chris Van der Burght

Quand la musique baroque est interprétée par les percutions de Kinshasa, Bach change de couleur. C’était une idée saugrenue au départ qui a animé le metteur en scène Fabrizio Cassol, pour ne pas dire risquée. Greffer les Ave Maria du contre-ténor Serge Kakudji avec les percussions enflammées d’un orchestre africain. Balafon, xylophone ou likembe, tous accompagnent ensemble les élans de grâce du chanteur installé étrangement dans un fauteuil roulant. Comme si le tableau n’était pas assez contrasté, Fabrizio Cassol a demandé au guitariste Rodriguez Vangama d’orchestrer le tout. Coiffé d’une casquette à clous dorés, il arrête les calebasses ou démarre les xylophones d’un simple mouvement de la main. Le grand ordinateur de cette expérience baroque, foisonnante et ébouriffante met en musique cet excitant tourbillon musical avec autorité et intelligence. Eclatant, scintillant, rarement la scène du théâtre de Chaillot n’aura été aussi lumineuse, éclatante d’énergie et d’émotions.

Ce foisonnement d’influences empêche de s’accrocher aux repères habituels du spectacle vivant. Nous sommes devant la rencontre de Robyn Orlin, Dycosh et Philippe Jaroussky. Le talent de chacun est une première clef pour saisir l’émotion qui se dégage de « Coup fatal ». Si la troupe de Kinshasa fait un usage sans limite d’éléments folkloriques africains, des instruments artisanaux aux vêtements de couleur (la RDC est la patrie de la SAPE, la Société des Ambianceurs et Personnes Elégantes nous rappelle le livret), les rythmes sont trop entrainants pour être artificiels. Surtout, la troupe dispatche quelques éléments sombres qui rappellent que les grimaces, les travestissements et les flonflons sont aussi une cure de légèreté face à un pays profondément douloureux. Ainsi le rideau qui sépare la scène du fond est constitué de cartouche de balle en métal. L’esthétique morbide n’en est que plus spectaculaire. Côté classique, la voix Serge Kakudji, incongrue au milieu de cette débauche de couleur et de rythme, impose dès les premières notes sa grâce et sa beauté. Mais c’est bien grâce à la rencontre de ces influences que « Coup fatal » se révèle un spectacle magnifique et profondément original.

Si le baroque est l’union du dissemblable, « Coup fatal » s’impose comme un modèle. Brouiller les pistes, effacer les barrières et mélanger les opposés constituent sa ligne directrice. Les grimaces grotesques qui accompagnent les envolées lyriques d’Orfée et Eurydice de Bach ou les couleurs bariolées face à la rigueur spirituelle d’un Aria plonge le spectateur dans un monde nouveau, une troisième dimension entre rire et les larmes, entre ombre et lumière.

Bien sûr « Coup fatal » n’est pas un spectacle égal. Les irruptions baroques restent minoritaires, et le spectacle reste souvent un concert de musique africaine entrainant, mais plus classique. Si on continue d’avoir du plaisir, l’impression de retomber dans un spectacle déjà vu est présente. Il n’en reste pas moins que les quelques moments de fascinations devant tant de beauté et de justesse impressionnent.

« Coup fatal »
Contre-ténor Serge Kakudji
Chef d’orchestre Rodriguez Vangama
Direction artistique Alain Platel
Direction musicale Fabrizio Cassol
Compositions Rodriguez Vangama, Fabrizio Cassol et Coup Fatal d’après Haendel, Vivaldi, Bach, Monteverdi, Gluck
Sur une idée de Serge Kakudji et Paul Kerstens
Scénographie Freddy Tsimba
Lumières Carlo Bourguignon
Son Max Stuurman
Costumes Dorine Demuynck
Assistant à la direction artistique Romain Guion, Isnelle da Silveira

Créé avec et interprété par Russell Tshiebua, Bule Mpanya (choeurs), Rodriguez Vangama
(guitare électrique, balafon), Costa Pinto (guitare acoustique), Bouton Kalanda, Erick
Ngoya, Silva Makengo (likembe), Tister Ikomo (xylophone), Deb’s Bukaka (balafon),
Cédrick Buya, Jean-Marie Matoko, 36 Seke (percussions)

Du 02 décembre au 5 décembre 2015

Théâtre National de Chaillot
1, place du Trocadéro – 75116 Paris
Réservations : 01 53 65 30 00
www.theatre-chaillot.fr

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