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Corps premiers, texte et mise en scène de Cédric Orain, à L’Echangeur de Bagnolet

Avr 24, 2024 | Commentaires fermés sur Corps premiers, texte et mise en scène de Cédric Orain, à L’Echangeur de Bagnolet

 

© Christophe Raynaud de Lage

ff article de Denis Sanglard

Le corps dans tous ses états. A travers le sport, Cédric Orain interroge avec beaucoup de malice et un semblant de sérieux, pas mal d’intelligence aussi, les possibles du corps poussé dans ses retranchements les plus ultimes, voire intimes, parfois, par les sportifs de haut-niveau ou bien encore moyen. Moyen comme Dick Fosbury par exemple. Franchement pas au niveau à ses débuts mais qui devint champion olympique en 1968 à Mexico, en inventant un saut inconnu des juges, perplexes devant cet enroulé du dos si peu réglementaire, qui lui permit de franchir la barre à 2,24m. Le fosbury-flop, ainsi fut nommée désormais cette technique, n’étant que le fruit d’un hasard, un arbre sur le chemin du sautoir d’entraînement. Oui, il suffit de peu, un ruban rouge dans les cheveux pour déjouer les pronostiques et franchir la ligne du 400m féminin en 52,03 s, et devenir championne olympique comme Colette Besson aux mêmes jeux de Mexico. Ce ruban là, ce fut comme la plume de l’éléphanteau Dumbo… La question que pose Cédric Orain au fond, à travers quelques moments emblématiques de l’histoire du sport, c’est comment un corps génère de la pensée, hors de la pensée. Ou pas. Parce que le corps peut aussi la précéder, penser par lui-même, et par là même créer de l’imprévue. Et comprendre cela, y être attentif, pour un sportif c’est se permettre un sacré pas de côté qui défiant tous les pronostics, ouvre potentiellement la victoire. Ainsi naissent les légendes. En somme, ici et dans ce cas précis, une pensée qui ne viendrait pas du corps ne peut être que fausse. Puis vient la réitération du geste et celui-ci une fois acquis, s’installant définitivement à l’intérieur de soi s’oublie, devient réflexe, automatisme, sans qu’aucunement n’intervienne la conscience. Dans son infini possible le corps est aussi porteur de mémoire.

Et c’est sans doute ça que l’on vient voir, nous spectateur, des corps qui s’échappent, des sportifs en quête d’absolu, un dépassement des limites où le corps est mis en jeu et qui finit par les dépasser eux-mêmes. C’est Anquetil, c’est Bernard Hinault, c’est Laurent Fignon, cyclistes poussant leur corps au-delà des normes attendues avec une puissance inédite. Et la fascination qu’ils exercent, victorieux ou vaincus, participe pour les spectateurs, pratiquant ou pas, de la même quête d’absolu, de vivre ce moment où tout bascule, où l’inédit et l’invention surgissent et se dire, j’y étais, je l’ai vécu. Le sport est aussi une catharsis. C’est l’enfance de Cédric Orain, minot fracassé par la victoire de la Bulgarie devant la France en 1993 au Parc des Princes et dont il fut le témoin dévasté. Pourtant, dit-il, l’amertume de cette défaite fut oblitéré au final par le sentiment joyeux d’avoir participé là à quelque chose d’historique. Et la découverte du cyclisme, les transmissions par la radio, fut une exaltation sans pareille devant une compétition où tout peut arriver, jusqu’au pire mais où s’écrit l’Histoire et le mythe.

Et sur ce plateau, reproduction a minima d’un gymnase, ils sont trois à raconter tout ça, tout ce qu’ils ne sont pas, sportifs, mais auquel nous croyons ferme. Miracle du théâtre. Trois athlètes de la scène, Aurora Dini (circassienne), Maxime Guyon et Claude Degliame. Ils sont sans rien d’autre que leur présence Dick Fosbury, Colette Besson, Jim Hines (premier coureur à courir le 100 m en moins de 10s.) … Cédric Orain, aussi. Le gamin pour qui les histoire de cyclisme étaient des comme histoires de pirates. Et dans une séquence hilarante, commentateurs sportifs aux discours abscons, au sabir incompréhensible, phrasé véloce et emportement hystérique soudain. Entre ces trois-là qui font une sacrée équipe, la parole circule, témoin de relais de l’un à l’autre avec juste quelques images d’archives, quelques photos de ces héros contemporains pour illustrations et pour balayer les clichés. Jamais dans la performance, l’imitation mais dans l’évocation et la parole performative. Il suffit à Claude Degliame, impériale toujours, le phrasé musical, de dire sans se départir d’elle-même, « je suis Fosbury » pour qu’elle le soit. Aussi simple que cela et confondant. Et Maxime Guyon de retrouver lui, l’émerveillement de l’enfance devant les exploits de ces héros à vélo.

Cela participe de la création, de l’invention de soi justement, de l’impossible matérialisé, et c’est ce lien-là, ténu et secret, qui relie sans doute le théâtre et le sport. Tout comme la catharsis justement. Parce qu’au fond et sans doute réside là le propos de Cédric Orain, il n’y a pas grande différence. Le théâtre aussi est une question de pas de côté, de corps, de sa mémoire, de son dépassement, d’exploit parfois. Un corps en jeu, un corps qui pense, un corps agissant, un corps qui crée. C’est l’expérience même d’Aurora Dini, gymnaste devenue circassienne, qu’elle-même raconte ici. Pas pour rien qu’en conclusion est évoqué la grande pianiste Maria Joao Pires, de ses mains qui ne la trahissant pas, seules sauvèrent un concerto parce qu’elles avaient en elles la bonne partition que n’avait pas la concertiste.

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

Corps premiers, texte et mise en scène de Cédric Orain

Avec Claude Degliame, Aurora Dini, Maxime Guyon

Scénographie vidéo : Pierre Nouvel

Lumière : Bertrand Couderc

Création son : Lucas Lelièvre et Camille Vitté

Costumes : Karin Serres

Assistant à la mise en scène : Edouard Liotard Khouri-Haddad

Regard chorégraphique : Bastien Lefèvre

Regard dramaturgique : Guillaume Clayssen

Régie générale et lumière : Boris Pijetlovic

Régie son et vidéo : Théo Lavirotte

 

Du 22 au 27 avril 2024 à 20h30

Jeudi 14h30 et 20h30, samedi 18h

 

L’Echangeur de Bagnolet

59 avenue du général de Gaulle

93170 Bagnolet

Réservations : 01 43 62 71 20

www.lechangeur.org

 

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