© Vincent Bérenger
ƒƒ Article de Sylvie Boursier
Il y a décidément quelque chose de pourri au cœur de la démocratie, semble nous dire Shakespeare dans Coriolan. Complotisme, démagogie, manipulation des masses, fascisme rampant sont réunis dans cette pièce du dramaturge sans histoire d’amour ni apparition de fantômes. Rien que la politique dans toute sa violence. François Orsoni s’en empare avec voracité et flamboyance, alternant bouffonnerie et tragédie selon la tradition du théâtre élisabéthain.
Soit un guerrier fort et admiré, patricien issu de la noblesse, qui méprise profondément le peuple. Il sort triomphant de la bataille contre les Volsques dans la ville voisine de Rome, Corioles, qu’il écrase à lui seul, ce qui lui vaut le surnom de Coriolan. Pétri d’ambition il pense que ses blessures lui donnent droit de postuler au titre de consul. Mais il échoue à recueillir les voix des représentants du peuple et son intransigeance lui sera fatale. Toute ressemblance avec d’actuels chefs de guerre n’est pas exclue…
Deux fauves avides de pouvoir s’affrontent dans l’arène. Sur les gradins au fond la mère de Coriolan veille au grain. Douée d’une intelligence politique supérieure, elle est obligée dans une société patriarcale d’utiliser son fils-phallus pour accéder au pouvoir ; Ménélius, parfait cynique rompu aux arcanes de la communication politique la soutient. Dans la salle avec les spectateurs « la bête aux mille tête », la plèbe, représentée par deux tribuns.
Accroché à son fauteuil pendant deux heures, le spectateur n’en croit ni ses yeux ni ses oreilles. On commence par un péplum, Coriolan en Ben-Hur affronte l’ennemi sur son char dans une partition chorégraphiée du superbe Alban Guyon. Il combat son « Messala » double inversé et machiavélique, capitaine crochu au pied bot et bandeau noir, le formidable Pascal Tagnati. La seconde d’après, gluant de jovialité affectée il caresse dans le sens du poil le tribun du peuple comme dans ces jeux télévisuels débordants de bons sentiments, pour mieux lui cracher son mépris ensuite. François Orsoni ose tout avec des comédiens chauffés à blanc. Les puristes diront qu’il sacrifie le sens à l’effet facile mais la langue de Shakespeare claque avec les pleins et les déliés d’un phrasé rauque, poétique, sublime et vulgaire à la fois. Il faut voir la suave Estelle Meyer, dans le rôle de la matrone Volumnia, caresser chaque syllabe dans un souffle puissant. Royale oui, absolument !
Qui est Coriolan ? Un pantin manipulé par sa mère ? Un dictateur en puissance ? Un homme intègre incapable de passer du casque à la toge ? Tout cela à la fois.
Les morceaux de bravoure et digressions font parfois perdre le fil du récit et l’assassinat du héros est escamoté. L’histoire mérite d’être connue en amont pour apprécier le spectacle à sa juste valeur. Qu’importe, allez-y sans crainte, seul ou en famille car les jeunes apprécieront un spectacle total qui pose des questions d’une actualité frappante. Un politique doit-il obligatoirement être un bon acteur ? Comment prendre le pouvoir ? Comment le conserver ? « Je veux faire du plateau, dit François Orsoni, une meute de loups, une communauté formidablement belle et agressive, dévorante, cannibale et irrévérencieuse, sinon à quoi bon faire du théâtre ? » Pari réussi au Théâtre de la Bastille.
© Vincent Bérenger
Coriolan, de William Shakespeare
Mis en scène par François Orsoni
Avec : Jean Louis Coulloc’h, Alban Guyon, Thomas Landbo, Estelle Meyer, Pascal Tagnati
Lumières : François Orsoni, Antoine Seigneur-Guerrini
Bruitage : Eléonore Mallo
Costumes et Scénographie : Natalia Brilli
Son : Valentin Chancelle
Du 12 septembre au 7 octobre 2022
Durée : 2 heures
Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette 75011 Paris
Réservation 01 43 57 42 14
www.theatre-bastille.com
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