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Compartiment fumeuses de Joëlle Fossier, mise en scène d’Anne Bouvier, Studio Hébertot

Fév 14, 2017 | Commentaires fermés sur Compartiment fumeuses de Joëlle Fossier, mise en scène d’Anne Bouvier, Studio Hébertot

ƒ article de Corinne François-Denève

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© Béatrice Léandre

Lorsqu’elle entre en scène, trotte-menu qui serre sa minaudière sous son bras, on sait qui elle est : cette femme, c’est la Blanche Dubois d’Un tramway nommé désir, belle du Sud égarée chez les prolos, qui doit s’en remettre à la « gentillesse des inconnus ». Nous ne sommes pas ici toutefois chez Tennessee Williams, mais chez Joëlle Fossier : Stanley est devenu une femme, Suzanne, qui a remplacé le marcel blanc par une chemise rouge de bûcheron, et un T-shirt… « Marilyn ». Blandine/Blanche et Suzanne/Stanley vont devoir partager la même cellule, sous la matraque jalouse d’une autre Suzanne. Le spectateur/la spectatrice attend de savoir ce qui a conduit ces deux femmes en prison, et sur quoi leur cohabitation forcée va déboucher.

Il/elle n’attend de fait pas très longtemps : la révélation du crime de Blandine intervient assez vite, la transformant rapidement en une victime au bras seulement vengeur. Suzanne, quant à elle, n’est coupable que de quelques malversations qui feraient sourire en haut lieu. En un mot, ces deux taulardes sont fort sympathiques, et c’est le système qui les entoure qui est éminemment coupable. Un système foucaldien, où Florence Muller hérite du difficile rôle de gardienne du « surveiller et punir ». Un système patriarcal, également, où la sororité imposée des compagnes de cellule « que tout sépare », selon un procédé dramaturgique bien connu, débouche sur une solidarité, une complicité, un amour possible. Victimes de la violence des hommes, qu’elle soit matérielle ou sexuelle, Blanche et Suzanne se rapprochent jusqu’à en écarter les murs de leur prison.

Compartiment fumeuses, programmé dans le cadre du cycle « Amours singulières », est porté par un certain nombre d’associations LGBT. On aurait tort toutefois de réduire cette pièce à un simple drame communautariste. Féministe, en revanche, Compartiments fumeuses l’est sans nul doute, comme l’indique son titre, démarcation genrée et tabagique d’un livre et d’un film bien connus. Une discrimination positive marque le générique, les hommes étant, une fois n’est pas coutume, relégués à l’invisibilité des postes de régie, de composition de musique, de scéno… En voulant dénoncer l’oppression du système carcéral, la domination masculine, la violence ordinaire des féminicides, Joëlle Fossier est de temps à autre un peu trop démonstrative. De même, la mise en scène d’Anne Bouvier est parfois maladroite – combat de matonne et de taulardes dans le rouge, au ralenti, monologues face public très nombreux, pose « Titanic » des deux amantes un peu étrange et décalée.

L’un des intérêts indéniables de ce Compartiment fumeuses cependant, c’est bien entendu l’affrontement de ces « actrices en cage ». Florence Muller joue la lutte pour le pouvoir, oscillant entre autorité et trouble. Sylvia Roux, en Marlon Brando au féminin, les pieds bien ancrés dans le plateau, fait de son personnage une captive au cœur tendre. A ce jeu, c’est toutefois sans nul doute Bérengère Dautun qui triomphe, promenant sa grâce intemporelle et diaphane de trésor vivant du théâtre. Dautun is the new black.

Compartiment fumeuses de Joëlle Fossier
Mise en scène : Anne Bouvier
Avec : Bérengère Dautun, Sylvia Roux et Florence Muller
Assistant metteur en scène : Pierre Hélie
Scénographe : Georges Vauraz
Lumières : Denis Korensky
Musique : Stéphane Corbin

Durée : 1 h 10
Tous les dimanches à 19 h 30 jusqu’au 9 avril 2017

Studio Hébertot
78 bis boulevard des Batignolles
75017 Paris
Réservations : 01.42.93.13.04

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