Common Ground[s] © Maarten Vanden Abeele
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Common Ground[s]
Germaine Acogny, Malou Airaudo. La première « mère de la danse contemporaine africaine » et fondatrice de l’Ecole des Sables, la seconde, ancienne membre emblématique du Tanztheather Wuppertal Pina Baush qui marquât de son empreinte et de ses rôles les créations traversées. Deux figures majeures de la danse moderne pour un duo d’une extrême sensibilité, d’une beauté lumineuse. La grâce, l’élégance insolente et la puissance de deux femmes qui sur ce plateau, présences phénoménales, expriment le sel d’une vie façonnée par leur art. C’est une traversée intime, reflets de leurs histoires et de leurs origines où, sur ce plateau nu l’Afrique et l’Occident ne font plus qu’un seul et même continent, celui de la danse. Septuagénaires toutes les deux, elles ne sont plus dans la performance obligée mais dans cette présence unique et prégnante, forte et suffisante, où le moindre mouvement, porteur du poids d’une longue expérience singulière, exprime à peine esquissé tout un paysage, le trajet d’une vie consacrée. Ces corps déliés, presque nonchalants, sensuels même, dissemblables pourtant, qui s’étreignent avec douceur, comme mères et filles, comme sœurs, comme amantes, comme amies, n’expriment rien d’autre que ce qui les réunit toujours, comme ce qui les sépare parfois, la différence n’étant que l’expérience heureuse d’un ailleurs, d’une altérité partagée et creuset de toute création. C’est, ainsi, tenir à deux une longue perche de bois, un bâton de danse comme il y a des bâtons de parole, expression subtile d’un dialogue que rien ne semble pouvoir ni devoir interrompre. Et sur ce plateau la complicité est telle qu’on ne s’étonne guère d’entendre soudain Germaine Acogny interpeller Malou Airaudo d’un tendre et joyeux « Alors ma Louloutte ?! ». C’est ancrer là aussi la danse dans cet échange magnifiquement trivial, l’inscrire dans une réalité palpable où passer la serpillère fait chalouper vertigineusement les corps. C’est ainsi résumer avec ironie l’origine de la danse, et de cette création, ni plus ni moins qu’une expérience du quotidien et d’une vie traversée, transfigurée, exhaussée, son épiphanie, où le geste n’est plus mécanique ni dans la technique mais, au-delà, porteur de sens même jusque dans son origine la plus archaïque. Alors évidemment, on songe inévitablement à Pina Bausch qui hante avec sa discrétion légendaire ce plateau et Malou Airaudo plus sûrement face à Germaine Acogny d’une plus frondeuse liberté, plus détachée sans doute et naturellement d’une figure tutélaire tenace. Qu’importe après tout, convoquer les ancêtres, même au fond d’une bassine en zinc, ici n’est ni plus ni moins qu’un acte de grâce pour l’héritage donné, qui vous consacrât et que l’on perpétue, transmet et métamorphose. Il y a une telle émotion à voir ces deux femmes puissantes exprimer par leur corps habité, riche d’une expérience à nulle autre pareille, l’essence de ce qu’elles sont, de ce qu’elles furent, de ce qu’elles seront, dans une épure bouleversante, dégraissée de toute affectation, détachée de toutes contraintes désormais, libres absolument, pour atteindre dans le partage une vérité nue et troublante, oblitérant le tragique possible pour une douceur, une tendresse qui vous étreint et ne vous lâche plus.
Le Sacre du Printemps © Maarten Vanden Abeele
Le Sacre du printemps
1975, Pina Bausch crée Le sacre du printemps, œuvre à jamais majeure de la danse contemporaine. C’est aujourd’hui la première fois qu’il est interprété par un ensemble spécialement recruté et la première fois par des danseurs de 14 pays africains, coproduction entre la Fondation Pina Bausch, l’Ecole des sables et le Sadler’s Welle à Londres. Et sous la direction de Joséphine Ann Endicott et Jorge Puerta Armenta, anciens danseurs du Tanztheater Wuppertal. Et le résultat est là, ô combien éclatant ! Et qui vous saisit sèchement et vous broie avec bonheur par son impacte brute et sa beauté rêche, bouleversant d’humanité et d’universalité. Les danseurs, totalement immergés dans la musique de Stravinsky, ne font plus qu’un avec elle, indissolubles de cette partition spectaculaire qui les mène au plus profond d’eux-mêmes. Il y a là, incontestablement, quelque chose d’indiciblement et de magnifiquement tripal, viscéral, instinctif, au-delà de toute maîtrise technique pure dont ils se dégagent pour atteindre quelque chose d’unique, une vérité crûe et sans apprêt. Un engagement absolu des danseurs, une urgence vitale à s’emparer de cette œuvre et de la faire sienne avec une profondeur tragique saisissante au risque de la perte. C’est une transe collective, explosive, implosive, où les corps s’épuisent sans retenue, sacrifiés dans un cérémonial abrasif, un rituel âcre et archaïque comme venu des profondeurs d’une humanité balbutiante et farouche. Les corps claquent, s’entrechoquent, s’embrassent, éclaboussés, poissés de terre que foulent et rythme en cadence les pieds, fortement ancrés dans le sol dont ils s’arrachent avec peine. Les mouvements sont rudes, implacables, les corps habités d’une forte tension palpable qui jamais ne se relâche. « Comment danseriez-vous si vous saviez que vous alliez mourir ? » demandait Pina Bausch. La réponse est là, magistrale, vibrante, cinglante et sublimée jusqu’à l’acmé par ces jeunes danseurs qui s’emparant de cet héritage donné, ne lui offrant pas seulement une nouvelle lecture, mais une nouvelle et formidable énergie, inscrivant désormais au patrimoine chorégraphique africain, déjà riche, une nouvelle et légitime partition.
Common Ground[s], chorégraphie et interprétation de Germaine Acogny et Malou Airaudo
Composition musicale : Fabrice Bouillon Laforest
Costumes : Petra Leidner
Lumière : Zeynep Kepekli
Dramaturgie : Sophiatou Kossoko
Le Sacre du printemps, chorégraphie de Pina Baush
Musique : Igor Stravinsky
Scénographie et Costumes : Rolf Borzik
Collaboration : Hans Pop
Direction artistique : Joséphine An Endicott, Jorge Puerta Armenta, Clémentine Deluy
Direction des répétitions : Çağdas Ermis, Ditta Miranda Jasjfi, Barbara Kauffman, Julie Shanahan, Kenji Takagi
Avec Rodolphe Allui, Sahadatou Ami Touré, Anique Ayiboe, D’Aquin Evrard Elisée Bekoin, Gloria Ugwarelojo Biachi, Khadija Cisse, Sonia Zandile Constable, Rokhaya Coulibaly, Zadi Lancry Kipre, Bazoumana Kouyaté, Profit Lucky, Babacar Mané, Vasco Pedro Mirine, Stéphanie Mwamba, Florent Nikiéma, Shelly Ohene-Nyako, Brian Otieno Oloo, Harivola Rakotondrasoa, Olivia Randrianasolo (Nanie), Asandra Ruda, Amy Collé Seck, Pacôme Landry Seka, Gueassa Eva Sibi, Carmelita Siwa, Amadou Lamine Sow, Didja Kady Tiemanta, Aziz Zoundi
Du 19 au 30 septembre 2022
Du lundi au vendredi à 20 h, samedi et dimanche à 19 h
La Villette / Espace Chapiteaux
211 avenue Jean Jaurès
75019 Paris
Réservations
01 42 74 22 77 / www.theatredelaville-paris.com
01 40 0375 75 / www.lavillette.com
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