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Clowstrum, conception et interprétation Louis Arène, Sophie Botte et Delphine Cottu, Lycée Jacques Decour, Festival Paris l’Été

Août 04, 2020 | Commentaires fermés sur Clowstrum, conception et interprétation Louis Arène, Sophie Botte et Delphine Cottu, Lycée Jacques Decour, Festival Paris l’Été

 

© Darek-Szuster
 

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Qui sont-ils ces trois-là qui se disputent un terrain vague, la zone, dont ils revendiquent chacun la propriété ? Au milieu de nulle part, ce bout de terrain blanchi de chaux, jonché d’ordures, de bouteilles plastique vides dont on cherche en vain, avec désespoir, à extraire quelques gouttes d’eau. Corps abrutis, chancelants, déshydratés, dont le moindre effort coûte, et qu’une toux récurrente arrache. Corps blanchis, empêtrés, émergeant du chaos, survivant d’une catastrophe dont on ne saura rien, écologique sans aucun doute, on le devine, condamnés à survivre, à se battre férocement pour un territoire stérile et sec, quelques gravats. Et comme la guerre au final ne sert de rien, on bricole un semblant de démocratie. Tentative dérisoire, de coups d’État en coups d’éclat, vouée à l’échec. L’homme est un loup pour l’homme, refrain connu…

Ce n’est pas la dernière création du Munstrum Théâtre. Mais c’est une reprise bienvenue et nécessaire, voire indispensable, en ces temps délétères où les catastrophes, humanitaires ou écologiques, c’est du pareil au même, cartographient le monde cul par-dessus tête et bousculent salement les démocraties essoufflées et branlantes. Derrière le nez rouge de ces trois clowns blafards, plus roués que naïfs, plus méchant que bonhomme, c’est tout le tragique et la monstruosité de notre humanité en déroute. C’est toute la force du Munstrum Théâtre de révéler ainsi le monde tel qu’il va, c’est-à-dire mal, avec trois fois rien et qui font tout. Avec ces corps en déroute qui vacillent et qui font malgré tout comme si. Comme si le monde d’avant était encore possible alors qu’il n’en reste rien, à peine quelques rebuts, ordures qu’on bricole et transforme au besoin. Et quelques lambeaux élimés de civilités, voire de civilisation, l’illusion du monde d’avant toujours, vite déchirés devant les ambitions tenaces de chacun.

Trois nez rouges, trois petits masques sanglants lacérant leur figure blanchie et derrière lesquels l’horreur tapie attend le rire pour surgir, rugir à son tour. On rit, oui, on s’esclaffe même. Mais la cruauté est bien là, les horions pleuvent, la mort rôde, et le rire se fige très vite, devient rictus. Pour autant le Munstrum Théâtre n’en fait pas des tonnes, c’est là toute leur maestria. Tout ça est d’une grande légèreté, rien de trop jamais, et c’est insidieusement que sourd l’angoisse et l’horreur de cette farce apocalyptique taillée à l’os, dégraissée de tout effet inutile. Ces trois-là, clowns infernaux, avatars beckettiens en diable, miroirs prophétiques et grotesques de notre monde chancelant, sont troublant de vérité, de justesse. C’est dans ce qu’ils expriment de ce qu’ils furent sans doute un jour, ce monde disparu, enfoui quelque part en eux et surgissant par éclats sporadiques qu’ils donnent toute la mesure de leur art. Et c’est dans ce frottement rêche, abrasif, entre un passé révolu et un présent survivaliste qu’ils offrent à leur personnage cette douloureuse compassion qui les exempte au fond d’une véritable monstruosité. Louis Arène, Sophie Botte et Delphine Cottu font de leur corps blanchi et empêché, gauche, un vaste territoire plastique et sensible, émotionnel, qui vous emmène au plus profond de la psyché humaine. Corps hurlant une humanité perdue, asséchée.

Un message lapidaire. C’était d’autant plus troublant et paradoxal ici, au sein du Festival Paris l’Été dont ils étaient les invités, que nombres de spectateurs, nonchalance ou négligence, malgré les consignes évitaient le masque pourtant obligatoire. Et quand à la distanciation sociale, elle était tout bonnement aux oubliettes, serrés que nous étions sur ces gradins étroits… Doit-on rappeler que la Culture, suffisamment et pour longtemps ravagé par la COVID, n’immunise pas de tout ? Clowstrum devant ce triste état de fait prenait étrangement tout son sens, voire prémonitoire.

 

 

 © Darek-Szuster

 

 

Clowstrum conception et interprétation Louis Arène, Sophie Botte, Delphine Cottu

Mise en scène Louis Arène et Lionel Lingelser

Collaboration artistique François de Brauer

Création nez, costumes et maquillages Louis Arène

 

Festival Paris l’Été

Lycée Jacques Decour

12 avenue Trudaine

75009 Paris

2 août 2020 à 15 h 30 et 19 h

 

Réservations

Parislete.fr

01 44 94 98 00

 

Tournée

7 au 12 décembre 2020

Le Quai, CDN d’Angers

 

 

 

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