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Chasser les fantômes, un projet du collectif ildi ! eldi, texte de Hakim Bah d’après une idée originale de Sophie Cattani, aux Plateaux Sauvages

Jan 24, 2021 | Commentaires fermés sur Chasser les fantômes, un projet du collectif ildi ! eldi, texte de Hakim Bah d’après une idée originale de Sophie Cattani, aux Plateaux Sauvages

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Marco et Roxane. Il est noir, elle est blanche. Ils s’aiment. Une rencontre en Afrique, un coup de foudre un soir d’élection, Obama élu président, tout semble possible. Il débarque en France, pour quelques temps, visa de tourisme obtenu de longue lutte. Mais quelque chose semble clocher. Tant de valises pour un temps prévu si court ? L’amour est là pourtant, les premières failles aussi. Une tasse café cassée et l’amour s’ébrèche déjà. Prolongeant son séjour, bientôt sans papier, Marco s’incruste dans cet appartement devenu son purgatoire et l’amour un enfer. Il dit l’aimer, veut se marier, Roxane doute, refuse le mariage. Et s’il mentait ? Si tout n’était qu’illusion ? Si ce mariage demandé avec insistance, comme son amour avec force déclaré, n’était rien d’autre qu’un moyen pour une régularisation avant l’abandon ? Nous n’aurons pas la réponse. Les histoires d’amour finissent mal en général. Celle-là ne faillit pas à la règle qui vire au tragique. Un même amour certes mais deux regards lucides et divergents, celui de Roxane et celui de Marco, vite fracassé par les préjugés de l’une et de l’autre. L’incompréhension et l’aveuglement devant l’altérité, l’appréhension d’une culture à soi étrangère, l’incapacité à s’affranchir des clichés afférents, voire du poids social et de l’Histoire qui immanquablement s’immisce dans l’intime.

Formidable texte de Hakim Bah, d’après le recueil de témoignage de couples mixtes entre Conakry, Paris et Marseille à l’initiative de Sophie Cattani du collectif ildi ! eldi mis en scène avec intelligence et une économie de moyen radicale par Antoine Oppenheim. Lequel met ce texte en espace, littéralement. D’emblée, après la première rencontre, le coup de foudre où fusionnent les corps, nos deux amoureux sont toujours à distance l’un de l’autre dans cette scénographie épurée qui ne cesse de les séparer, de les éloigner, les mettre à des niveaux toujours différents sans qu’ils puissent ou ne souhaitent se rejoindre. Espace mental plus que physique qui acte la déroute de leur amour, la défaite des corps devant cet autre devenu, au réel, un étranger. Ne reste plus que la parole pour tenter d’appréhender la perte de ses idéaux, combler le gouffre culturel qui les sépare, se confronter à la réalité de la mixité qui leur échappe. C’est cette parole-là qui est mise en scène, frontalement, et ainsi dépouillée de tout effet, de toute théâtralité inutile, mise à nu en quelque sorte, explose. Incarnée superbement par Sophie Cattani et Nelson-Raffael Madel, rythmée par la musique, en direct, de Damien Ravnich. Rien de dire qu’ils investissent ce verbe qui roule à tombeau ouvert, entre récit et jeu, on découvre un véritable engagement à défendre cette partition jusque dans ses ambiguïtés et ses non-dits corrosifs. Dirigés au cordeau, à vif, aucun des deux n’assènent de vérité absolue, sinon la sienne à l’aune de sa propre culture, mais une souffrance amère devant cet amour devenu incompréhensible face à une réalité qu’ils n’envisageaient pas, le poids de leurs préjugés qu’ici ils ne surmontent pas. Chasser les fantômes avance sur un terrain sensible, sinon casse-gueule, mais loin de prendre parti, laisse toute la place à l’ambivalence de ces deux qui sur la scène se déchirent salement. Sourd bientôt lentement un drôle de malaise chez le spectateur renvoyé, lui, à ses propres préjugés, ne sachant plus sur quel pied danser. Et c’est aussi toute la force de ce texte comme de cette mise en scène et devant la conviction de ses acteurs d’aborder là, au-delà des clichés, en cela c’est aussi une réussite, la question des couples mixtes, interculturels, confrontés à une réalité contemporaine tant politique qu’historique, une crise économique et aujourd’hui sanitaire qui exacerbe les nationalismes rampants et le racisme latent. Et d’y faire front. Question pertinente qui interroge notre réelle capacité d’ouverture à l’autre, à chasser les fantômes pernicieux qui nous hantent. Malgré tout.