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Ceux qui restent, de David Lescot, au Déjazet

Oct 25, 2017 | Commentaires fermés sur Ceux qui restent, de David Lescot, au Déjazet

ƒƒƒ article de Corinne François-Denève

© Christophe RAYNAUD DE LAGE

« Ceux qui restent », ce sont ceux qui n’y sont pas restés. Qui ont réussi, enfants miraculés, à fuir le ghetto de Varsovie, avant l’extermination, avant le soulèvement de 1943 et sa répression. Ceux qui restent, ce sont aussi des derniers témoins, dans un siècle qui n’est plus celui de l’événement. Ils n’ont pas souvent parlé, se sentant peut-être coupables de ce miracle de la survie, alors que tant sont morts ; ils se sont construits, ou reconstruits, ailleurs, devenant radiographe à Londres pour l’une, ou astrophysicien à Paris, pour l’autre. Et comme ils sont les derniers « à rester», leur vient finalement l’urgence de se confier, ou de transmettre leur témoignage, surtout quand les anniversaires viennent se rappeler à eux – 1993 pour le retour à Varsovie, 2013 pour « la fissure de l’armure ».

Patiemment, le dramaturge David Lescot est allé les interroger, recueillir leur témoignage. Les deux cousins, Paul (Pavel) Felenbok et Wlodka Blit, épouse Robertson, répondent à ses questions précises. Parfois, ils ne savent pas, le disent. A force de tourner les questions dans leur tête, ils sont des hypothèses, qu’ils formulent prudemment. De leur histoire, ils ont pu parfois très tardivement reconstituer certains fragments, à la faveur de la découverte des lettres de tel parent mort, au détour de telle conversation avec un frère qui va bientôt mourir. Pavel a des souvenirs précis, des images – une porte colmatée après une explosion, des chevaux morts dans les cours des immeubles. Wlodka a parfois des flashs. Pavel sait que parfois il ne sait plus, des détails aussi terribles que l’endroit précis où sont morts ses parents. La rue de son enfance, il a su à quoi elle ressemblait en lisant Le Pianiste.

Être enfants à hauteur de guerre, dans la guerre. Vivre avec la mort, les morts, ou un mort, enterré à deux mètres de soi, dans la cave où l’on se cache. L’antisémitisme latent. La brutalité des soldats, allemands, russes, lituaniens. La terreur de ce capitaine soviétique que ses hommes découvrent sa judéité. Le cynisme des passeurs, des familles d’accueil, pour qui le Juif accueilli est une manne financière. La pauvreté, la misère, la peur, et l’indéfectible lien familial qui fait que les frères, les sœurs, les cousins, séparés, se retrouvent, prétendument par hasard, liés par de mystérieux fils. La tendresse innée de certains héros ordinaires, Wladka, la blonde Polonaise qui va chercher, dans la neige, à retrouver Wlodka. La fidélité des amis des parents, se relayant pour sauver ceux que l’on peut sauver. La fuite dans les égouts, l’évasion par l’échelle – pour le saut vers la survie, l’autre vie. Ces récits du ghetto, personnels, précis, embrassent le temps d’avant et le temps d’après. Paul et Wlodka ont été des enfants rieurs, puis des jeunes gens désireux de vivre. Ils ont gardé au corps, chevillé, un humour intact. Leur témoignage est doux et pudique. L’interviewer est discret, pédagogue, empathique. Dans ses récits, validés par l’historien Tal Bruttmann, on croise parfois l’Histoire – le nom d’un héros de l’insurrection du ghetto, Marek Edelman ; des Juifs qui parlent yiddish, d’autres non, des sionistes, d’autres non, des membres du Bund, des pensionnaires des maisons d’enfance de l’Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide.

Ce théâtre documentaire, « théâtre-document » selon Lescot, « théâtre de la mémoire » (Bruno Tackels), ou « théâtre témoignage » (Sabrina Weldman), pourrait-on dire, Lescot a tenu à le débarrasser de toute afféterie précisément théâtralisante. Deux chaises dans une salle où le noir ne s’est pas fait encore. Tour à tour, l’acteur et l’actrice vont jouer Pavel et Wlodka, et l’interviewer Lescot. On alterne les points de vue, comme un chant polyphonique, masculin et féminin. Le souffle tendu, on attend que Wlodka revienne raconter sa sortie du ghetto, tandis que Pavel reprend son récit. Pas de pathos, pas de démonstration. Juste un dialogue humain, profondément humain, chuchoté à un public qui doit l’entendre pour que son écho reste.

Ceux qui restent conception et mise en scène David Lescot
Paroles de : Paul Felenbok et Wlodka Blit-Robertson
Avec : Marie Desgranges et Antoine Mathieu
Lumières : Laïs Foulc
Transcription et traduction des entretiens : Claudette Krynk et Jacqueline Szobad.

Durée 1 h 30 environ
Du 18 au 28 Octobre 2017 et du 7 Novembre au 9 Décembre 2017
Du mardi au Samedi à 19h00

Théâtre Déjazet
41 boulevard du Temple
75 003 Paris
01 48 87 52 55
www.dejazet.com

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