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Cerberus et Goat, chorégraphies de Ben Duke, Ballet Rambert, au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, Paris

Fév 16, 2024 | Commentaires fermés sur Cerberus et Goat, chorégraphies de Ben Duke, Ballet Rambert, au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, Paris

 

© Camilla Greenwell

 

ƒƒ article de Denis Sanglard

Le Ballet Rambert est de passage à Paris, évènement suffisamment rare pour ne pas découvrir une des meilleures compagnies britanniques de danse contemporaine et des plus anciennes (créée en 1926), aguerrie au répertoire le plus pointu, de Merce Cunningham à Wim Vandekeybus. Deux pièces sont présentées, chorégraphiées par Ben Duke, dont la signature scénique hybride la danse et le théâtre. Goat (chèvre) fut sa première collaboration avec le Ballet Rambert. Goat pour scapegoat, bouc émissaire. Cette première collaboration, son succès critique et public appela une nouvelle commande, toute aussi originale, Cerberus. Une vision des enfers, du mythe d’Orphée et Eurydice, ludique.

Pour Cerberus, la vie résumée succinctement à la traversée d’un plateau, de cour à jardin… avec une question existentielle, est-ce que la danseuse est morte ou simplement rentrée dans la coulisse à gauche ? En tous les cas et de son point de vue, à la danseuse, et dit en préambule, ce n’est pas sa meilleure expérience… Ben Duke revisite le mythe d’Orphée et d’Eurydice, vision contemporaine et tragi-comique matinée d’humour so British. Cerbère, gardien des Enfers, reste en coulisse, présence indicible, accueillant les danseurs du Ballet Rambert, encordés les uns aux autres pour leur dernier voyage. Long défilé où les corps semblent être encore marqués de leurs ultimes instants, pris sur le vif et comme surpris à l’instant de leur heure dernière. Il y a des soubresauts, quand même, les corps sont rétifs et semblent ne pas vouloir lâcher prise avant de traverser le Styx. Libérés de leurs entraves, c’est une explosion d’énergie pure, la vie dans son urgence, son exubérance. Question sans doute de contrer, même si c’est perdu d’avance, l’inéluctable. On songe évidemment à Pina Baush, « Dansons, dansons sinon nous sommes perdus ». Les danseurs ont une technique imparable, rompus bien évidemment à la danse contemporaine, mais avec un sens affirmé de la théâtralité qui insuffle à l’ensemble une dynamique hors-norme, le sentiment que cette danse n’est pas purement expressive en surface mais qu’elle puise sa source aussi dans l’expérience vécue collectivement et par chacun.

Goat en est la démonstration éclatante. Hante ce plateau, studio d’enregistrement ou de répétition, l’ombre de Nina Simone, à qui il est rendu hommage. Pas seulement à la chanteuse mais aussi à la femme engagée, militante des droits civiques, contre le racisme et les inégalités raciales. Nina Simone, devenue aussi le bouc émissaire d’une société raciste et patriarcale. C’est au mythique concert de Montreux, en 1976, qu’il est fait référence et dont quelques chansons, tubes immarcescibles et signifiants, ponctuent cette création. Mais une autre réalité dramatique se superpose à la première. Cette création fut frappée de plein fouet par l’attentat islamiste de Londres en mars 2017, deux jours après le début des répétitions, et portent ainsi et malgré elle le poids, ce traumatisme, faisant de cet opus un acte de résistance. La danse – comme le chant de Nina Simone – devient un cruel rituel expiatoire. Ben Duke invente une nouvelle et dystopique cérémonie, accusatoire, une réitération contemporaine et volontaire du Sacre du printemps où l’élu, chargé par sa communauté de tous les maux de la société, doit danser jusqu’à en mourir. Humour anglais oblige, incorrigible, au reporter l’interrogeant en direct et face caméra « ça vous prendra combien de temps ? », le danseur répond « Je ne sais pas, c’est ma première fois ». Et cette première fois est un solo émouvant de désespérance, de lutte, que conclut un duo amoureux d’une grande sensualité, défiant en vain et malgré tout cette mise à mort d’un bouc émissaire. L’amour, à défaut la bienveillance, est aussi un acte de résistance à la folie des hommes. Est aussi cinglé là l’appétence médiatique au fait divers jusqu’à l’indécence de filmer la mort en direct.

La danse au long de cette partition y est fluide avec toujours cette énergie fulgurante qui habitent les corps sous tension permanente, secoués d’une joie féroce et communicative. C’est d’ailleurs aussi ça que Ben Duke tente de percer, ce mystère au centre de toute création chorégraphique, l’origine du mouvement. L’intempestive journaliste ne cessant d’interrompre les interprètes en pleine action pour tenter de comprendre cet art qui lui échappe. Lesquels sont bien incapable de répondre. C’était ça aussi l’énigme de Nina Simone, son rapport singulier avec le public se passant de toute explication et ne tenant, peut-être, qu’au charisme écorché de la chanteuse et cette présence hors-norme sur un plateau.

 

© Camilla Greenwell

 

Cerberus / Goat, chorégraphies de Ben Duke

Cerberus

Costumes : Eleanor Bull

Assistants chorégraphiques : Pip Duke & Winifred Burnet-Smith

Musique : Moderat, ASMZ, Monteverdi

Lumière : Jackie Shemesh

 

Goat

Décor : Tom Rogers

Vidéo : Will Duke

Assistante chorégraphie & nouvelle mise en scène : Winifred Burnet-Smith

Arrangement musicaux : Yshani Perinpanayagam

Musique : Feeling Good (Newley : Bricusse), Ain’t Got no / Got Life (Macdermott), My Way (François / Revaux / Anka), The ballad oh Hollis Brown (Dylan), Feeling (Albert / Gaste)

Lumière : Jackie Shemesh

 

Avec : Adél Bálint, Aishawarya Raut, Alex Soullière, Angélique Blasco, Hannah Hernandez, Antonello Sangirardi, Cali Hollister, Conor Kerrigan, Dylan Tebaldi, Jonathan Wade, Joseph Kudra, Max Day, Musa Motha, Naya Lovell, Simone Damberg-Würtz, Seren Williams

 

Jusqu’au 20 février 2024 à 20h

Samedi à 15h et 20h

 

Théâtre de la Ville – Sarah Bernhardt

Place du Châtelet

75001 Paris

 

Réservation : 01 42 74 22 77

www.theatredelaville-paris.com

 

 

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