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Cendrillon de Jules Massenet, mise en scène de Mariame Clément à l’Opéra Bastille

Oct 31, 2023 | Commentaires fermés sur Cendrillon de Jules Massenet, mise en scène de Mariame Clément à l’Opéra Bastille

 

© Elisa Haberer

ƒƒ Article de Sylvie Boursier

Vous croyez connaître Cendrillon ? La pensée de ce conte sirupeux vous donne la nausée ? Car enfin cette cruche, parangon de vertu, a pour seuls mérites la beauté et l’humilité alors que les deux sœurs claudicantes – l’une se coupe l’orteil pour enfiler la fameuse godasse et l’autre se blesse le talon – s’échinent à vouloir forcer le destin avec un chausse pied. Quant au prince fétichiste des talons en vair il brille par sa fadeur.

Avec Massenet et Mariame Clément aux manettes c’est une autre chanson, exit le sempiternel essayage de pantoufle, la citrouille transformée en carrosse, place au fantastique mâtiné de féminisme. Cendrillon alias Lucette étouffe dans son immonde meringue rose bonbon et ses escarpins de bal. Quant au prince, légèrement pochtron et parfaitement débraillé, il a tout du loser. Bref, débarrassés de leurs oripeaux, ces deux jeunes gens orphelins de mère se séduisent par le rire et leur refus du protocole.

Quand le rideau s’ouvre on se retrouve dans une salle des machines à la Gustave Eiffel. Une énorme fonderie avec force turbine, assez laide au demeurant, occupe la moitié de la scène. Massenet était à Paris au moment de l’Exposition universelle de 1889 et son père dirigeait une entreprise de machines agricoles, ceci explique cela. On imagine sur un tel décor les gags keatoniens du mécano de « la générale » avec des acteurs dépassés par les véhicules, locomotive, draisine, wagons, canon. Le lien hommes-machines ici est moins réussi avec toutefois de grands moments burlesques à l’acte I, lorsque sortent des turbines deux poupées Barbie de foire, sortes de dindes issues d’une usine à transformation de chairs fraîches en filles bonnes à marier dirigées de main de maître par leur mère, remariée au père de Cendrillon, la fameuse marâtre. La Fée électrique surgit d’une cheminée, boule à facettes munie d’un cierge crépitant telle Céline Dion dans sa célèbre reprise de Starmania « Stone, le monde est stone », accompagnée des harpes, du cor et des cordes aux sons aigus. Caroline WetterGreen, saisissante reine de la nuit de cet opéra rock, déroule sans sourciller l’acier de ses vibratos coloratures. Hélas dans les trois actes suivants la machinerie se révèle vite lourdingue.

Coup de génie de la direction d’acteurs, l’arrivée de Lucette essoufflée au bal des débutantes de l’acte II, qui se casse la figure à cause de ses souliers, constamment à contretemps de 50 gaufrettes  se dandinant sur des airs baroques proches du rigaudon et de la gavotte. Sa gaucherie lui vaudra les faveurs du prince. Dans le troisième acte, ajouté par Massenet à la version des frères Grimm, l’élégie romantique succède à l’opéra bouffe sur un lamento psychédélique et onirique des deux amoureux qui se devinent sans se toucher comme une prémonition. On est dans la forêt du Songe d’une nuit d’été quand les elfes et les lutins tirent les ficelles et que l’amour devient un jeu de cache-cache proche du fantasme. N’aime-t-on que par imagination ? nous murmure Massenet contemporain de Freud. Orchestre et chanteurs vibrent à l’unisson, dommage que les tourtereaux se frôlent coincés dans les caves de cette usine lépreuse avec l’image kitch d’un cœur sanguinolent.

Jeanine de Bique a la grâce fragile du rôle-titre sur un timbre délicat de soprane peu audible dans les vocalises du premier acte. Plus ample est la ligne vocale de Paula Murrihy qui va du grave au suraigu dans le rôle du prince. Les seconds rôles nous régalent de bout en bout. Daniela Barcellona est une impayable Me de la Haltière, belle-mère de Lucette. Totalement barrée et lucide, tout lui est bon pour atteindre son objectif. Mère Maquerelle et chef d’entreprise elle fait dans l’hénaurme sans faillir avec de beaux graves de mezzo soprane et un aplomb de général en chef sur le champ de bataille du bal. Son arrivée fracassante à l’acte III en tenue d’aviatrice avec des lunettes hublots a du panache. Les demi-sœurs de Cendrillon, Noémie et Dorothée, la soprane Emy Gazeilles et la mezzo Marine Chagnon, se révèlent des danseuses hors pair sur le menuet de l’acte I et la scène hilarante des modistes, un clin d’œil au Molière du Bourgeois Gentilhomme. Quant au baryton Laurent Naouri il a l’humour distancié qui convient dans le rôle du « mari, re-mari, très marri » de la maitresse femme.

Mariame Clément renverse la table, vous ne verrez plus Cendrillon de la même façon. Les femmes y sont plus puissantes que méchantes, obligées dans une société patriarcale d’utiliser les moyens qui sont à leur disposition, leurs enfants, pour accéder au pouvoir. Même si tout finit par un mariage, on voit en creux le difficile chemin par lequel deux êtres marchent droit dans une vie qui n’est pas la leur, quittent l’enfance et se défont de liens toxiques pour aller vers leur propre liberté. Ils se guérissent mutuellement d’une mélancolie mortifère comme chez Joël Pommerat, chacun reconnaissant dans l’autre une gémellité d’âmes. Cette Cendrillon célèbre le pouvoir des rencontres qui nous font grandir, la puissance de l’imagination et la force du désir.

 

© Elisa Haberer

Cendrillon de Jules Massenet d’après Charles Perrault

Livret : Henri Cain

Musique : Jules Massenet

Mise en scène : Mariame Clément

Direction Musicale : Keri – Lynn Wilson

Décors et costumes : Julia Hansen

Lumières : Ulrik Gad

Chorégraphie : Mathieu Guilhaumon

Chef de Chœurs : Alessandro Di Stephano

Jeu : Jeanine de Bique, Daniela Barcellona, Paula Murrihy, Caroline Wettergreen , Emy Gazeilles , Marine Chagnon, Laurent Naouri, Philippe Rouillon, Luca Sanna, Laurent Laberrdesque, Fabio Bellenghi, Corinne  talibart, So-Hee Lee, Stéphanie Loris, Anne- Sophie Ducret, Sophie Van de Woestyne, Blandine Folio Peres

Durée : 3h avec entracte

1, 4, 7, 10, 14 et 16 novembre 2023 à 19h30 à l’Opéra Bastille Paris

 

Opéra Bastille Paris

Place de la Bastille
75012 Paris

www.operadeparis.fr

 

 

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