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Cellule, de Nach, au Théâtre de la Bastille / festival Faits d’hiver

Fév 04, 2024 | Commentaires fermés sur Cellule, de Nach, au Théâtre de la Bastille / festival Faits d’hiver

 

 

© Dainius Putinas

 

ƒƒ article de Nicolas Thevenot

D’abord la nuit noire, épaisse, comme une brusque étreinte à couper le souffle. C’est la première cellule, celle du repli en soi où l’ouïe fraye son écoute dans un dense labyrinthe sonore, rocailleux, reconnaissable mais non identifiable : s’en détache le grain du réel, comme celui qui affleure dans une photo argentique à force d’agrandissement. Dilatant les durées de ses séquences comme autant de cellules autonomes, Nach nous travaille autant qu’elle travaille, le temps est cet autre cul-de-basse-fosse dont personne n’échappe. La chorégraphe construit non pas un état d’âme mais une veillée d’armes. Un état de siège. Un qui-vive lancé nuitamment. Lorsqu’elle apparaît dans une lumière contrastée, bigarrée d’obscurité, c’est une narine frémissante qui nous saisit. Le K.R.U.M.P. (Kingdom Radically Uplifted Mighty Praise), né dans les années 2000 dans les quartiers pauvres de Los Angeles, est autant une danse qu’un rapport au monde, une attente nerveuse, une puissance qui s’exprimerait autant qu’elle ne se retiendrait. Dans cette narine s’ouvrant et se refermant comme un point de fuite, c’est, rassemblée, toute l’énergie d’une rage prête à fondre dans le corps sec et nerveux de la danseuse. Il y a du frémissement et des prémisses, comme un muscle se préparant avant de lâcher son coup. L’attention spectaculaire se concentre dans les tensions musculaires. Nach revendique sa guerre, elle l’incarne non pas avec une crânerie déplacée mais avec une sincérité qui frappe. Corps et âme, son souffle est le piétinement d’une armée en souffrance autant que la soupape d’un vent de colère. Avec ses lumières au néon, ou celle, à l’arrache, d’un téléphone articulé à bout de bras, le règne de la zone, des parkings glauques, des sous-sols en déshérence, s’érige fragile sous nos yeux. C’est le lieu d’un peuple invisibilisé, ensauvagé si l’on veut bien faire de l’injure proférée par certains politiques la couronne d’une résilience en acte (et l’on repense également au geste que représentait la production récente des Indes galantes mise en scène par Clément Cogitore, reprenant krump, voguing…). On pense au Caravage, à ses clairs-obscurs, et à ses modèles pris dans les bas-fonds : Nach finalement porte sur scène cette « danse de rue » comme le maître porta sur les cimaises des églises un réel et une classe sociale que l’on abhorrait. La comparaison peut se poursuivre avec cette primauté de l’éclat, de la fulgurance saisie en plein vol, donnant à voir le tressaillement de la chair.

La concaténation des cellules qui enchaînent Nach forme un chemin de ronde. A la fois danse et circulation de la sentinelle. Son parcours explore d’un même geste, indistinctement, intériorité et extériorité. La griffe des gestes déploie le paysage changeant d’un visage avec cette impression troublante d’une identité traversée par une multiplicité querelleuse. Si le KRUMP est une construction chorégraphique hyper codée, comme peut l’être le ballet classique, si ses battles donnent un cadre sous forme de dispositif à ses performances, Nach se l’approprie en le dépaysant vers d’autres territoires, notamment celui de l’intimité. L’incarnation, qu’il faut ici prendre au sens littéral tant l’engagement de la danseuse élimine toute distance, devient le medium d’une lutte en soi et des tensions qui l’innervent. Elle nous trouble profondément comme un geste osé peut le faire, interrogeant sur nos propres limites. C’est là le point clef d’une œuvre au noir, fascinante, fulgurante comme un hérétisme, souterraine comme un archaïsme.

 

© Dainius Putinas

 

Cellule, conception, danse, texte et images de Nach

création lumière et décors : Emmanuel Tussore

régie générale et régie son : Vincent Hoppe

construction décors : Boris Munger et Jean-Alain Van

 

Durée : 45 minutes

 

Du 26 au 28 janvier 2024 à 18h30 sauf le 26 à 20h30

 

Théâtre de la Bastille

76 rue de la Roquette

75011 Paris Métro Bastille

Réservation :  01 43 57 42 14

https://www.theatre-bastille.com

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