Critiques // Ce qu’il me reste, de Yves Mwamba, au Théâtre Louis Aragon, à Tremblay-en-France

Ce qu’il me reste, de Yves Mwamba, au Théâtre Louis Aragon, à Tremblay-en-France

Déc 24, 2024 | Commentaires fermés sur Ce qu’il me reste, de Yves Mwamba, au Théâtre Louis Aragon, à Tremblay-en-France

 

© Yves Mwamba

 

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Perçant l’obscurité et le brouhaha finissant, la percussion entêtante de claves met le cœur aux aguets. Sillonnant un paysage d’Afrique, une piste de terre poudreuse, ocre, déroule le regard comme un immense tapis cérémoniel. L’image semble flotter, capture dans son champ ceux qui cheminent à pied et s’écartent et ceux qu’elle croise poursuivant la direction opposée, une végétation sporadique aux abords. Par instants fugaces le rétroviseur de la moto qui porte le vidéaste fait intrusion dans l’image, dévoilant subrepticement un visage. Ce qu’il me reste s’ouvre avec ce long plan séquence, abrupt et majestueux à la fois, dont on est vite le captif : est-ce son effet de réel sur grand écran, son mouvement d’ouverture sans fin vibrant du battement des claves ou la rencontre qu’il annonce et retarde en même temps, qui nous lie fermement à sa trajectoire ? Yves Mwamba fait ce chemin, non pas physique, mais de la mémoire et de l’intimité : un déplacement vers la figure maternelle, envisagée comme celle de l’enfance. La danse, avec ce projet singulier, se découvre un nouveau territoire, celui infime et infini à la fois qu’il y a entre une mère et son fils, où amour, pudeur et respect s’entrelacent et rythment gestes et retraits. Ce qu’il me reste se construit en acte, sans paroles, sinon celles, chantées de la mère et puis celles qui viendront plus tard, simples et magiques, pareilles à une annonciation, ainsi traduites : « Me voici devant vous, Joséphine Diyoyi ». Ce qu’il me reste sera aussi une bénédiction, le rituel pris dans les rets du spectaculaire et pourtant et heureusement y échappant. Yves Mwamba a conçu des espaces temps contigus, qui se frottent, font des étincelles, se rejoignent en de rares occasions, mais surtout déploient leurs circulations comme des chemins parallèles. Aucune narration dans cette forme, comme si le chorégraphe et interprète avait compris qu’un récit fait de mots annihilerait la puissance d’évocation magique des seules présences d’une mère et son fils. La liaison entre eux deux se fait par le chant de Joséphine Diyoyi. Les mélopées en forment de boucles sonores, ritournelles, creusent le passé dans l’étendue du présent. La musique est bien le fil conducteur d’Yves Mwamba débarquant avec sa valise pleine de cassettes audios, cordon ombilical avec sa terre natale et cocon protecteur. Sa danse, si elle s’élabore en premier lieu, dans une rigueur toute géométrique, bras tendus pointant l’espace vide de l’absence, se développe ensuite dans une organicité et une énergie puisant aux sources affectives de la musique maternelle, laissant affleurer les traits d’une danse originelle, africaine. La forme pure initiale s’investit du trop-plein, du manque sublimé en emballement. Et puis il y aura la danse Mutuashi de Joséphine Diyoyi : danse du bassin, sismique comme la terre-mère, éruptif et hypnotique comme une mer démontée, emportant dans ses saccades tout le corps de son officiante sauf ce regard solide et puissant comme un roc. Sa grâce et sa radicalité sans aucun doute ont à voir avec la gratuité de son acte, comme échappant à toute considération et ambition culturelle occidentale. Il n’est pas question de briller sur scène et le narcissisme est renvoyé aux oubliettes. Elle demeure irréductiblement et magnifiquement étrangère aux codes de nos représentations et pour cela sa présence est aussi une forme de résistance. Entièreté de l’être. Son acte participatif (elle s’en expliquera en quelques mots) est inexplicable sauf à le concevoir comme un acte d’amour maternel. Ce qu’il me reste, à l’instar du travail de l’artiste Myriam Mihindou (PRAESENTIA, exposition en cours au Palais de Tokyo), est résolument un art de la reconstitution et de la réparation, renouant les fils distendus par l’espace et le temps d’une vie loin des siens. Son exigence n’a d’égal que sa pudeur.

 

© Adrien Vallée

 

 

Ce qu’il me reste, chorégraphie d’Yves Mwamba

Interprétation :  Joséphine Diyoyi & Yves Mwamba

Dramaturge : Daddy Kamono

Coach vocal : Dalila Khatir

Création sonore : Franck Moka

Lumière : Cléo Konongo

 

Durée : 50 min

Le 20 décembre à 22h

 

Théâtre Louis Aragon

24 boulevard de l’Hôtel de Ville

93290 Tremblay-en-France

Tél. 01 49 63 70 58

https://theatrelouisaragon.fr

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