ƒ article de Suzanne Teïbi

Ils sont cinq jeunes comédiens. Ils questionnent la tension entre l’intime et le politique à l’épreuve du réel et de la fiction. Pour ce faire, ils ont mis en place une méthodologie précise, car il faut dire que cette création a vu le jour dans un contexte particulier : La loge, au moment de fêter ses cinq années d’existence, a demandé à la compagnie DDN – le Don Des Nues – de monter un spectacle en un mois qui se frotterait au thème du quinquennat. Alors les voilà partis avec ça. Ils décident de se pencher sur les cinq dernières années, et d’écrire collectivement ce qui les a intimement travaillé. Confronter l’intime au collectif.

Ils se prêtent tous les cinq à un même questionnaire – Quels sont selon toi les évènements marquants politiquement sur la période ? / Quels sont les évènements intimement marquants ? / Un rêve ? / Une chanson ? / Un acte que tu considères comme un acte de résistance ? / Un héros ? / Un anti-héros ? / …. – et, d’après les réponses que chacun apporte, la metteuse en scène élabore une dramaturgie qui permet de passer du témoignage individuel à son importance à l’échelle du collectif.

Sur le plateau, ces mêmes cinq comédiens restituent une partie de cette parole, qu’ils ont fait passer du côté de la fiction et dont ils tentent de se dégager affectivement, en prenant en charge le témoignage des uns et des autres, mais jamais le sien. Ils deviennent les passeurs d’une parole. Et ces témoignages sont franchement intéressants, ces réflexions dépassent le simple cas personnel. Parce qu’elles viennent nous parler assez justement et singulièrement, mais surtout parce que l’écriture même – son souffle, son rythme, sa musique – est savoureuse et sincère. Tout comme le projet : savoureux et sincère.

Cette compagnie donne envie qu’on s’y intéresse, vient nous chercher à des endroits touchants. Et ça fonctionne particulièrement bien lorsque la vraie simplicité est assumée. Le plateau nu. Pas d’artifices. Une table et trois chaises suffisent pour passer de la première partie, celle des témoignages livrés frontalement, à une deuxième partie où les comédiens rejouent des scènes de films, de pièces, avec un plaisir manifeste et communicatif.

Cette énergie, sur le fil, perd franchement de sa force lorsque sont déployées toutes formes de moyens parasites : les déplacements dans l’espace pour livrer les témoignages de la première partie, la projection quasi permanente d’une vidéo en fond de plateau. Nul besoin de tout ça. Le brut suffirait. Car le risque est d’anecdotiser le spectacle, de poser un écriteau collectif contemporain, d’alourdir le projet. On perd aussi la sincérité du projet quand les comédiens, dans une mise en abyme maladroite, feignent à plusieurs reprises le conflit pendant le temps de la représentation, mettent en scène une crise, des désaccords au sein de la compagnie qui viendraient relativiser les certitudes et les prises de position bien pensantes. Les paroles sont assez fortes, drôles et émouvantes pour qu’elles suffisent au spectateur.

Toujours avec cette envie de voir ce projet, passionnant, prendre une autre dimension, on aurait envie que la compagnie joue davantage le jeu des entretiens, qu’elle élargisse son panel d’interrogés, et sorte du cercle de ses seuls cinq comédiens. Qu’elle intègre d’autres témoignages à ses archives et à sa dramaturgie. Mais on devine aisément que le temps ait pu manquer. A suivre donc, on l’espère.

Ce que l’histoire ne dit pas 
Écriture collective sur la base d’entretiens et de textes de Julien Crépin, Morgane Lory, Nadège Sellier, Serguei Ryschenkow, Geoffrey Vernin
Dramaturgie et mise en scène de Morgane Lory
Création vidéo Ophélie Bignon
Création lumière Marinette Buchy
Avec Julien Crépin, Morgane Lory, Nadège Sellier, Serguei Ryschenkow, Geoffrey Vernin

Du 11 au 14 novembre 2014 à 21h

La loge
77, rue de Charonne – 75011 Paris
Métro Charonne, Faidherbe-Chaligny, Ledru Rollin
Réservations 01 40 09 70 40
lalogeparis.fr

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