© Catarina Filipe Ferreira
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Dans cette famille, il est une tradition à laquelle on ne déroge pas depuis 70 ans, depuis le régime de Salazar où l’aïeule commit la chose : tuer un fasciste. Aujourd’hui dans cette propriété campagnarde plantée de chêne-liège, au sud du Portugal, Catarina, l’une des plus jeunes de la famille, va tuer son premier fasciste. C’est un jour de fête, la table est mise, les pieds de porcs mijotent et le fasciste, résolument muet, attend sa dernière heure. Seulement voilà, Catarina devant le geste à accomplir, est prise d’un doute et refuse de tirer. Un conflit familial éclate où chacun, du grand-père aux oncles, de la mère à la sœur, tente de persuader Catarina de la nécessité de ce geste devant une démocratie impuissante à juguler la montée des parties d’extrême droite. Les questions fusent et le débat fait rage. Prendre les armes au risque de la guerre civile, du terrorisme, pactiser et faire le jeu du fascisme pour de l’intérieur le combattre au risque de se perdre, où user des moyens démocratiques voués à l’échec ?
A ce dilemme, Tiago Rodrigues ne répond pas, désarmé sans nul doute, comme les spectateurs lentement pétrifiés par cet exposé implacable de notre impuissance et désarroi devant la montée irrésistible d’une extrême droite décomplexée. Tiago Rodrigues ne cache nullement sa référence à Brecht, qu’un oncle ne cesse de citer, émaillant ses arguments de citations empruntées à l’œuvre du dramaturge. Seulement « la bête immonde » est dans cette fable déjà en place et « ronge la démocratie comme un acide ». Et tout comme Brecht, il n’existe pas d’alternative. Et le refus de Catarina signe résolument la tragédie à venir de cette famille que le meurtre de fasciste jusqu’à présent soudait et que la décision de Catarina fait soudain éclater. La démonstration parfois, parfois seulement, n’évite pas la pesanteur, le ressassement, tant Tiago Rodrigues tient à enfoncer résolument le clou, signe de son inquiétude évidente et qui traverse ouvertement cette œuvre. La mise en scène et les acteurs sauvent heureusement la pièce de son didactisme par trop forcé. Et puisqu’il ne semble pas y avoir de solution, si même le théâtre dans sa fonction première est impuissant, Tiago Rodrigues décide de confronter les spectateurs, frontalement, à la réalité et celui qui jusqu’à présent était muet, le fasciste en sursis, celui qui ne sera pas enterré sous un chêne-liège, prend la parole pour conclure la pièce. Vingt minutes d’un discours où la rhétorique, les arguments rances et les obsessions des extrêmes droites (femmes, avortement, homosexuels, genre, étrangers, démocratie…) sont assénés sans ciller. Rien n’est laissé au hasard dans cette diatribe nauséeuse. C’est dans la salle, éclairée pendant cette logorrhée, un électrochoc, le malaise sciemment provoqué est évident, qui voit les insultes être proférées, certains projectiles projetés sur le plateau, des départs précipités. Ce que dit Tiago Rodrigues là, en se dépouillant brutalement de toute théâtralité, ou comme le disait Brecht, c’est de cesser d’avoir les yeux ronds pour enfin voir et entendre cette résistible ascension. Résistible ? A nous, devant ce discours implacable que tout leader européen d’extrême droite ne renierai absolument pas, de prendre nos responsabilités, s’il n’est pas déjà trop tard.
© Catarina Filipe Ferreira
Catarina et la beauté de tuer des fascistes texte et mise en scène de Tiago Rodrigues
Scénographie : F. Ribeiro
Lumières : Nuno Meira
Adaptation lumières pour les Bouffes du Nord : Rui Monteiro
Costumes : José António Tenente
Création et design sonore, musique originale : Pedro Costa
Chef de chœur, arrangement vocal : João Henriques
Conseillers en chorégraphie : Sofia Dias, Vitor Roriz
Conseiller technique en armes : David Chan Cordeiro
Assistante mise en scène : Margarida Bak Gordon
Traduction : Thomas Resendes
Surtitrages : Patricia Pimentel
Collaboration artistique : Magda Bizarro
Avec António Afonsa Parra, António Fonseca, Beatrix Maia, Carolina Passos Sousa, Isabel Abreu, Marco Mendoça, Romeu Costa, Rui M. Silva
Du 7 au 30 octobre 2022
Du mardi au samedi à 21 h
Le dimanche à 17 h
Théâtre de Bouffes du Nord
17(bis) boulevard de La Chapelle
7010 Paris
Réservations 01 46 07 34 50
Tournée :
7 et 8 novembre 2022, La Garance, scène nationale de Cavaillon
9 novembre 2022, Théâtre d’Arles
12 et 13 novembre 2022, Centre Culturel André Malraux, Vandoeuvre lès Nancy
15 et 16 novembre 2002, Evry
18 et 19 novembre 2022, Théâtre Joliette, Marseille
22 et 23 novembre 2022, Maison de la Culture, Amiens
25 et 26 novembre 2022, Théâtre d’Angoulême
29 novembre-1er décembre 2022, La Comédie de Reims
3 et 4 mars 2023, Le Quai, CD N d’Angers
6 avril 2023, Théâtre Edwige Feuillère, Vesoul
comment closed