© Simon Gosselin
ƒƒ article de Nicolas Brizault
L’annonce de ce spectacle attire, rend curieux. Un travail d’après un texte de cette fantastique Janes Bowles, Camp Cataract, issu de Plaisirs paisibles. Sadie, une jeune femme complexe, ou schizophrène pour tout dire, fuit sa famille, choisit une liberté fort « construite », anguleuse et pas très solide pour tenter d’aller se reconstruire à Cataract Valley. Là, elle est au bord d’une rivière superbe, avec chute d’eau et cabanons en vrai bois pour citadins qui hésiteraient entre ici et hôpital psychiatrique, version soft. Au moins elle est seule, ou bien avec des gens qu’elle connaît peu voire débordant d’attention. Elle reçoit des lettres de sa sœur, Harriet, restée en ville et en famille, et qui « semble » fort heureuse de sa vie, une sœur timide et obéissante, boniche d’une troisième sœur, hystérique celle-ci. Harriet part rejoindre Cataract Valley, terrifiée par cette idée, pour aller « récupérer » Sadie, pour retrouver leurs complication citadine. Harriet est là pour la rechercher ? fuir avec elle ? se jeter dans la chute d’eau splendide et colossale ? Elle choisira la dernière version. Très beaux portraits de sœurs étranges.
Thème colossal se diffusant près de la chute d’eau, dans une scénographie où d’anciens sapins de Noël sont redevenus forêt, au bord de la rivière, où la cabane dans les bois devient d’un seul coup appartement en pleine ville, avec trois fois rien, des idées qui nous emporteraient avec un éclairage plus subtil : on est souvent sensé être dans une pénombre magnifique et on en prend plein les yeux, pour de vrai, si si, perdus en plein bois, et tout cela rien qu’avec trois ou quatre mini lampettes. Curieux et fort dommage.
Pour le reste, autour de Sadie et Harriet, fortes et détruites, et autour desquelles tourne la pièce, il pourrait naître un espace plus terrible : les autres personnages sont trop ou pas assez, demi-teinte et déséquilibre, entre les deux. Du féroce où de l’hilarant aurait peut-être mieux mis en valeur les méandres douloureux des deux frangines, celle qui essaie de fuir, celle qui est emprisonnée. Les profondeurs, les virages, les multicouches de chacun auraient pu apparaître plus clairement, douloureusement, ou bien ici où là plongés dans un fantasque étrange et entraînant. De l’essence, davantage. Les ambiances naissent tout de même. Des pots d’échappement, l’odeur des pommes de pins, jusqu’à l’étalage des cartes postales, on devine tout. On y est, on part et s’envole, stupéfait par des touches subtiles ou coup de poing.
Ce qui est dommage c’est l’apparition dans la seconde partie de la pièce, où tout le terrible va naître, de toutes les explications, les voix off, etc. Comme ce texte final qui nous explique bien, projeté sur un mur, au cas où nous n’aurions pas bien compris, que Harriet s’est jetée dans l’eau, que donc elle est morte et que, eh bien c’est hyper triste et tout et tout… On est beaucoup trop pris par la main. Peut-être veut-on par-là mettre en valeur le texte de l’auteur, son talent ? Allez savoir, ce n’était inscrit nulle part. En tout cas cette petite projection fout la fin de la pièce à l’eau, double noyade. Il y a du talent, de l’envie, du goût profond pour Janes Bowles, c’est certain, mais un peu plus d’un peu moins serait le bienvenu. Un risque pris par Marie Rémond et qui peut formidablement « prendre » avec certains. Le jeu et ses aléas, ses fortunes…
© Simon Gosselin
Cataract Valley, d’après Jane Bowles
Un projet de Marie Rémond
Adaptation et mise en scène Marie Rémond et Thomas Quillardet
Avec Caroline Arrouas, Caroline Darchen, Laurent Ménoret, Marie Rémond
Traduction Claude-Nathalie Thomas
Scénographie Mathieu Lorry-Dupuy
Son Aline Loustalot
Lumière Michel Le Borgne
Costumes Marie La Rocca
Du 17 mai au 15 juin 2019
20h du mardi au samedi
15h le dimanche
Relâche les 19 mai et 2 juin 2019
Durée 1h30
Odéon-Théâtre de l’Europe, Salle Berthier
1, rue André Suarès,
75017 Paris
(Angle du bd Berthier), Porte de Clichy
Réservations : T+ 01 44 85 40 40
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