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Carmen, opéra-comique de Georges Bizet, direction musicale de Louis Langrée, mise en scène de Andreas Homoki, à l’Opéra-Comique

Mai 01, 2023 | Commentaires fermés sur Carmen, opéra-comique de Georges Bizet, direction musicale de Louis Langrée, mise en scène de Andreas Homoki, à l’Opéra-Comique

 

© Stefan Brion

 

ff article de Denis Sanglard

Carmen revient à l’Opéra-Comique à l’occasion de ses presque 150 ans, 148 exactement, puisque crée le 3 mars 1875. Pas une ride pour cet opéra populaire des plus joué dans le monde. Il faut dire que d’emblée et dès l’ouverture Louis Langrée, à la tête de l’Orchestre des Champs-Elysées, imprime sa marque et donne à cette partition un sacré coup de fouet. Ouverture vive et contrastée, dans ses pleins et ses déliés, qui augure avec bonheur de la suite, plongeant très vite l’ auditoire, happé, dans une véritable dramaturgie, on peut dire ça, une lecture intelligente et passionnante de cette partition plus que rebattue. Le choix de l’œuvre originale entre toutes les versions existantes, celle de l’Opéra-Comique où alternent chants et dialogues (ces derniers en partie coupés) comme la tradition du lieu l’exigeait, d’un orchestre allégé n’écrasant pas de sa masse la musique et somme toute adapté à la fosse et à la salle, enfin des instruments d’époque pour un son moins âpre, voire plus moelleux pour ne pas dire plus sensuel, font de ce presqu’anniversaire une réussite incontestable. Du moins de ce côté-là, car pour la mise en scène… nous y reviendrons. La direction de Louis Langrée est énergique, précise, incisive et mordante, mené avec une rapidité nette, franche et peu coutumière mais terriblement juste. Pas de maniérisme ni de poses, mais une brutalité, une raucité qui peut se faire soudain caresse, à l’image de Carmen et du drame éponyme. Des contrastes saisissants finement soulignés d‘une baguette assurée entre les scènes collectives et celles plus intimistes qui se succèdent jusqu’au dénouement tragique qui atteint ici, du point de vue musicale, son acmé. Louis Langrée déploie ainsi tout le riche nuancier de cette partition complexe, entre tension tenue jusque son explosion et accalmie fragile se brisant, où la violence brute le dispute à la poésie – il y en a -, le noir tragique à l’exubérance.

Gaëlle Arquez est une Carmen débarrassée des clichés attachés trop souvent à la cigarière. Cette Carmen-là s’impose tout simplement par sa présence naturelle, femme forte et libre, émancipée, sans une once de vulgarité, de racolage. Voix de mezzo, ample et généreuse, sensuelle et veloutée, elle donne à son personnage une assurance dépouillée de tout extravagance, loin de la femme fatale, voire fortement théâtrale, pour une simple humanité, directe, affranchie des carcans imposées. Il y a même une certaine gravité dans la conception de son personnage, non dans l’acceptation de son destin, un cliché de plus, mais dans la relation qu’elle entretient avec les hommes, loin de toute légéreté, de frivolité. Une vision féministe, osons le dire, qui paie de son féminicide cette volonté têtue de rester libre. Autre cliché jeté aux oubliettes, la Micaëla d’Elbenita Kajtazi, qui loin d’être le personnage de nunuche auquel on la confine trop souvent, il faut dire aussi que le texte en complète contradiction avec la partition ne l’aide pas vraiment, ne s’en laisse pas compter qui va jusque mettre un coup de pied dans les parties d’un officier trop entreprenant. Une autorité qui en impose à tous par sa voix de soprano aux aigus d’une grande clarté projeté avec une force bellement maîtrisée. Frasquita et Mercédès (Norma Nahoun et Aliénor Feix) sont au diapason de cette distribution féminine exemplaire, toutes deux magistrales en leur registre. Le ténor Frédéric Antoun, Don José, a la voix et le physique mais l’on s’étonne que Carmen (et Micaëla) puisse s’éprendre d’un homme comme aussi absent à lui-même. Le contraste en est plus cruel devant la performance du baryton-basse Jean- Fernand Setti en Escamillo, la stature aussi haute que la voix est profonde. Et n’oublions pas le chœur Accentus, dirigé au cordeau, en grande forme comme à son habitude, occupant avec aisance le plateau.

Et puisqu’il nous faut aussi doucher notre enthousiasme, on aurait sans doute aimé une mise en scène à la hauteur de cette direction musicale magistrale. Andreas Homoki souhaitant rendre hommage à la création de cette œuvre, au lieu de sa création même et de son époque, vide le plateau, mis à nu dans sa structure, la cage de scène et son lointain à vue. Seul un rideau rouge – qu’on imagine être celui d’origine – d’ouvertures en fermetures, structure l’espace, projetant parfois les interprètes en avant, façon music-hall, pour leurs grands airs, les tubes attendus. Il ne manque pas même, sous le halo d’un projecteur, la chaise noire où Carmen s’assoit dans une évocation à peine soulignée de Cabaret.  Entrent les bourgeois venus là pour la première de cet opéra attendu qui bientôt de spectateurs deviendront choristes, gardant cependant leur vêture endimanchée, en fracs et faux-culs. Comme Don José venu là comme en touriste, en jeune homme contemporain prenant possession de son rôle après avoir, ô miracle, trouvé la partition qui traînait là, sur le sol, s’être vu dépouillé de ses habits par des chenapans attendant la garde montante, rhabillé fissa en brigadier par nos bourgeois, habit qu’il gardera jusqu’à la fin, contrairement aux autres. Dans le troisième acte nous sommes projetés en pleine guerre de 40, pendant l’occupation allemande de Paris, le temps de la débrouille et du marché noir… justifiant sans doute le brigandage de nos contrebandiers. Le théâtre est fermé, Carmen fait de la résistance. Enfin l’acte IV voit la résolution du drame se passer aujourd’hui, le rideau rouge est devenu bleu nuit pour l’occasion. La corrida où triomphe Escamillo passe à la télévision (vintage celle-ci). Carmen meurt, l’image est belle avouons-le, la fête finie, au milieu des confettis et des serpentins éparpillés. Théâtre dans le théâtre, mise en scène se voulant tout à la fois circonscrite à son lieu de création et atemporelle, évitant volontairement tout réalisme. Pas vraiment pertinente, dévitalisant la force du livret, dénaturant la puissance de l’oeuvre et quelque peu incompréhensible, voire paradoxale dans ses intentions, cette mise en scène nous laissant dubitatif a au moins le grand mérite de laisser involontairement, lui résistant de fait et naturellement, toute la place à la musique, au génie de Bizet.

 

© Stefan Brion

 

Carmen, opéra-comique en quatre acte de Mérimée

Livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy, d’après la nouvelle de Mérimée

Direction musicale : Louis Langrée (24, 26, 28, 30 avril), Sora Elisabeth Lee ( 2 et 4 mai)

Mise en scène : Andreas Homoki

Collaboration à la mise en scène : Arturo Gama

Assistante costumes : Lena Winkler-Hermaden

Cheffe de chant : Marine Thoreau La Salle

Chef de chœur Accentus : Christophe Grapperon

Cheffe de chœur Maîtrise Populaire de l’Opéra-Comique : Clara Bernier

Avec Gaëlle Arquez, Frédéric Antoun, Elbenita Kajtazi, Jean-Fernand Setti, Norma Nahoun, Aliénor Feix, François Lis, Jean-Christophe Lanièce, Matthieu Walendzik, Paco Garcia. Et la voix de Sylvia Bergé (Sociétaire de la Comédie-Française)

Figurants : Hugo Collin, Wadith Cormier, Côme Fanton d’Andon, Yvon-Gérard Lesieur

Chœur : Accentus & Maitrise populaire de l’Opéra-Comique

Direction artistique : Sarah Koné

Orchestre : Orchestre des Champs-Elysées

 

Les 24, 26, 28 avril, le 2 et 4 mai à 20h

Le 30 avril à 15h

 

Opéra-Comique

Place Boieldieu

75002 Paris

Réservations : 01 70 23 01 31

www.opera.comique.com

 

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