© Julia weber
ƒƒƒ article de Sylvie Boursier
« On meurt parce qu’on est coupable. On est coupable parce qu’on est sujet de Caligula. Or, tout le monde est sujet de Caligula. Donc, tout le monde est coupable. D’où il ressort que tout le monde meurt. C’est une question de temps et de patience ». Le héros de Camus, loin d’être fou, raisonnait parfaitement, mais à vide.
Rien n’est vrai mais tout est réel, nous sommes au théâtre, le seul endroit sur terre où cela est possible, et ces mots de Camus s’écrivent en lettres de sang lorsqu’ils sont prononcés par de grands comédiens du théâtre national de Kiev (l’équivalent de la Comédie Française) qui viennent pour la première fois en France et peuvent être mobilisés à tout moment dans leur pays en guerre contre un autre Caligula, bien réel celui-là.
Caïus César Augustus Germanicus, dit Caligula régna sur l’Empire Romain de l’an 37 à l’an 41 après Jésus Christ, avant d’être assassiné à l’âge de 29 ans. A la mort de sa sœur et maitresse Drusilla il bascule dans le despotisme.
Une forme géométrique brun gris barre l’espace au dessin proche d’un Georges Braques. Dans cette boite cage rectangulaire tressée de bois et de fer on découvrira des alvéoles trop petites et trop étroites pour qu’un homme puisse s’y tenir debout. Et pourtant les comédiens apparaitront et disparaitront à partir de ces cellules qui rappellent les cachots de Louis XI. La prédominance sombre décompose et fragmente chaque apparition à travers un savant mélange clair-obscur. La perversité de l’empereur, sous-jacente au début va se développer progressivement au gré d’une atmosphère lourde et complotiste, qu’alimente une langueur amère, le travail sur la lumière y est pour beaucoup.
L’impression sépulcrale se renforce par une direction d’acteurs proche d’un Murnau dans Nosferatu, les comédiens jouent à fond la théâtralité de Caligula qui n’hésitait pas à se travestir pour une danse de mort narcissique. Derrière la veine symbolique suinte l’horreur, les pulsions sadiques inavouées qui sommeillent en nous. Vénéneux, calculateur, manipulateur, Vitalii Azhnov est impressionnant, tous mériteraient d’être cités
En quête d’absolu, l’empereur détruit tout sur son passage, et la mise en scène épurée d’Ivan Uryvsky le montre presque touchant et otage, tout en restant comptable de ses crimes, des causes du mal qui étreint une société toute entière. Déguisé en Vénus, sa folie déjoue l’hypocrisie et la veulerie de ceux qui peuplent l’hémicycle et on réalise que chacun abrite potentiellement un Caligula en lui.
En sortant on a en tête un autre propos de Camus, « Faites attention, quand une démocratie est malade, le fascisme vient à son chevet mais ce n’est pas pour prendre de ses nouvelles ». Mais c’est une autre histoire.
On retient son souffle à la Manufacture, happés par la beauté des images, la résonnance tragique de ce spectacle puissant qui se joue trop peu de temps. Allez voir de toute urgence !
© Julia weber
Caligula d’Albert Camus
Mise en scène : Ivan Uryvskyi
Musique : Ivan Uryvskyi
Scénographe : Petro Bogomazov
Costume : Tetiana Ovsiichuk
Avec : Vitalii Azhnov, Oleksandr Rudynskyi, Tetiana Mikhina, Liudmyla Smorodina, Olena Hohlatkina
Jusqu’au 11 juillet
A 18h 20
Durée : 1h 20
Spectacle en coopération avec l’Institut ukrainien et avec le soutien de l’Union européenne, de la Fondation internationale de la Renaissance dans le cadre du projet Renaissance européenne de l’Ukraine. Il fait partie du projet Pavillon du Futur – Ukraine 2024
La Manufacture Avignon – La Patinoire
2483 avenue de l’amandier
84 000 Avignon
Accès navette manufacture de la porte Thiers à 18h
Réservation : 04 90 85 12 71.
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